Vichy, plus que jamais dans un désert médical
Par Anthony BEUSCART
L’Allier fait partie des zones géographiques particulièrement concernées par le manque de praticiens. En pleine crise, Vichy peine à remplacer ses médecins de plus en plus âgés. Une situation qui contraint ces derniers à repousser leur départ à la retraite.

À Vichy, « avoir un médecin traitant, c’est devenu le parcours du combattant ». Le constat n’est pas formulé par un habitant bougon mais par Pascal Devos, conseiller à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de l’Allier et ancien syndicaliste CGT hôpital. Dans le bassin vichyssois, la situation médicale est en effet dramatique. Année après année, l’agglomération perd ses médecins. Les départs en retraite ne sont pas remplacés et cela se traduit directement sur les patients.
Pour Philippe Bécaud, président de l’ordre départemental des médecins, le diagnostic est clair : « La médecine libérale n’attire plus. » Lui qui a passé sa vie dans le médical a pu voir l’évolution du nombre de praticiens dans sa ville : « Nous sommes passés de 180 à 40 médecins. » La pénurie affecte la médecine générale, mais aussi les spécialités qui perdent des médecins chaque année. « Fin 2025, il n’y aura plus qu’un cardiologue, il n’y a aussi qu’un seul psychiatre, et il a 73 ans ! Avant nous avions six ou sept pédiatres, maintenant il n’y en a plus qu’un, pareil pour les ORL », détaille amèrement Philippe Bécaud. Le constat est sans appel aussi pour Pascal Devos : « Oui, nous avons un réel problème d’accès aux soins allant jusqu’à l’abandon de soins. »
Des médecins qui ont passé l’âge de la retraite
« C’est d’autant plus préoccupant que beaucoup de gens viennent passer leur retraite à Vichy, s’inquiète le docteur Bécaud. Ils ne trouvent personne, aucune réponse ! » La cité thermale a effectivement une population vieillissante en besoin de soins. Mais, problème supplémentaire, le vieillissement concerne également les médecins. Selon Philippe Bécaud, « sur les 40, un certain nombre a dépassé l’âge de la retraite ». Une réalité constatée aussi par Karine Courtois et Faustine Dufour, infirmières libérales. « Sur l’Allier, il y a beaucoup de médecins qui sont très âgés, explique Karine Courtois. Ils exercent jusqu’à très tard parce qu’il n’y a pas de jeunes pour les remplacer. » Le désert médical qui touche l’Allier force alors certains médecins à multiplier les années et les heures au détriment de leur propre santé physique et mentale. « Les médecins de ville et de campagne sont plus que débordés, souvent ils font même des burn-out », explique Faustine Dufour.
« Les secrétaires n’arrêtent pas de dire non pour la prise en charge de nouveaux patients, c’est difficile, regrette Philippe Bécaud. Nous sommes sans cesse appelés pour trouver des médecins… » Les prévisions pour les prochains mois n’étant guère optimistes, les Vichyssois devront apprendre à patienter entre chaque rendez-vous médical.
Entre hôpital et ville, un fossé qui n’arrange pas les choses
Pourtant, des médecins, il n’en manque pas à Vichy. En fait, il y en a même beaucoup. Vous ne comprenez plus ? C’est pourtant simple : « Ils sont tous à l’hôpital », résume Philippe Bécaud, qui déplore une mauvaise gestion de ce dernier. « Il leur en faut toujours plus, c’est un puits sans fin, il est tellement gros qu’il n’y a rien autour. Il y a aussi une méconnaissance par l’hôpital de la situation en ville. » Les effectifs ont en effet grandi à l’hôpital de Vichy… lui aussi pourtant en crise ! En comptant les internes, plus de 300 médecins travaillent au centre hospitalier. Mais l’affluence est, elle aussi, bien plus grande qu’auparavant.
La population vichyssoise ne trouvant plus de rendez-vous chez les médecins de ville, elle se tourne vers l’hôpital, de plus en plus surchargé. Un cercle vicieux qui ne règle aucune des deux crises. « Les gens n’ayant pas de suivi médical en ville, ils vont emboliser l’hôpital et ça, ça pose problème », conclut, dépité, le président de l’ordre des médecins de l’Allier. Son avis n’est toutefois pas partagé par Pascal Devos, qui voit surtout cette crise par le prisme d’un désintérêt pour la médecine libérale, un système selon lui dépassé. « On reste enfermé dans une médecine libérale qui n’est pas attractive pour les jeunes médecins, qui souhaitent avoir une qualité de vie », estime-t-il. Conséquence, « des personnes qui devraient avoir un suivi médical, pour des affections longue durée par exemple, n’en ont pas », conclut celui qui a travaillé toute sa vie à l’hôpital.

Quelles solutions ?
À Montluçon, non loin de Vichy, où l’agglomération est également touchée par ce cruel manque de médecins, les professionnels de santé se sont organisés en une Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS), un réseau travaillant ensemble pour mieux coordonner l’accès aux soins. Les prochaines années nous diront si les résultats sont au rendez-vous dans cette ville où un pôle santé a également rouvert récemment. Son prédécesseur, ouvert en 2021, n’avait tenu qu’un an.
Un espace similaire a été envisagé à Vichy avant que l’idée ne soit abandonnée, faute de financement : « La médecine générale a des contraintes importantes au niveau de la paperasse, donc nous leur proposions [aux médecins qui auraient rejoint le centre de santé, ndlr] l’intendance et eux ne faisaient que de la médecine. L’objectif est de dégager du temps médical, mais cela a un coût. Cela ne s’est pas fait pour des problèmes financiers », détaille Philippe Bécaud.
Fervent défenseur des centres de santé, Philippe Devos déplore cet échec, soulignant que, pour aller au bout de la tentative, il aurait fallu « une volonté politique importante ». Celle-ci passe selon lui par un soutien à l’installation de praticiens salariés au sein d’une même structure, à la différence des maisons de santé où les médecins sont encore libéraux. Une évolution possible de la médecine, mais qui peine à se mettre en place à grande échelle, comme en atteste l’échec du premier pôle santé de Montluçon.
En attendant, un autre service peu connu tente de faire plus du bruit : le SAS (Service d’accès aux soins). Piloté par le CHU de Moulins, il s’agit d’un centre d’appel qui redirige les patients vers des professionnels de santé. À charge pour ces derniers de dégager du temps, chacun à leur tour, pour ces consultations. Une organisation encore complexe – « les horaires ne conviennent pas toujours », selon Philippe Bécaud – mais qui vise à se développer.

Une situation critique pour tous
Il le faudra pour éviter que s’accentue le glissement des tâches au sein du monde médical déjà observé par Karine Courtois. « Les infirmières deviennent parfois des mini-médecins et les aides-soignantes deviennent des mini-infirmières », explique en effet la professionnelle de santé. Celle-ci estime ainsi être parfois contrainte d’outrepasser ses fonctions. Il est maintenant autorisé, par exemple, aux infirmières disposant d’une formation, de réaliser des certificats de décès. Des changements nécessaires quand les médecins ne se rendent plus jusqu’au domicile des plus fragiles. « C’est d’autant plus compliqué quand le médecin doit se rendre à domicile, explique Faustine Dufour, ce désert médical concerne en réalité tous les professionnels de santé à domicile : les assistances sociales ou les kinés par exemple. »
Dépendantes des ordonnances délivrées par les médecins, qui les couvrent, elles se retrouvent au quotidien face à des patients qui leur présentent une ordonnance arrivant à son terme sans qu’elle soit remplacée par une nouvelle. Si la situation n’évolue pas positivement, le système pourrait complètement craquer, mettant en péril professionnels de santé et patients, il y a urgence.
Anthony Beuscart