Enquête. Sorcières modernes : une nouvelle ère de la magie
Par Jade BELLEVILLE
On imagine souvent la sorcière un balai à la main et un chat noir qui l’accompagne. Mais aujourd’hui, la sorcellerie s’est modernisée. Celles qui la pratiquent se sont renouvelées et se trouvent maintenant sur les réseaux sociaux. En même temps que la pratique, c’est l’image de la sorcière qui connaît un jour nouveau. Enquête auprès des nouvelles sorcières.

Chapeau pointu, nez crochu, chat noir, un balai à la main, voici comment on s’imagine les sorcières. D’un simple regard, on pourrait les reconnaître dans une foule. Mais aujourd’hui, celles qui utilisent la sorcellerie ne sont plus aussi simples à repérer. On oublie la maison recluse dans la forêt, on oublie les gros chaudrons.
Les sorcières se sont modernisées et se sont même mises sur les réseaux sociaux. Sur la plateforme TikTok, le hashtag #Witch regroupe plus de cinq millions de vidéos tandis que sur Instagram, on frôle les 21,5 millions. Elles sont de plus en plus nombreuses à se mettre en scène à travers de courtes vidéos pour montrer au grand public ce que c’est qu’être une sorcière en 2025.
Maria, (alias @ma_riiaa._), fait partie de ces néo-sorcières. Elle partage, avec ses 7 271 followers de TikTok, son quotidien de sorcière. « La sorcellerie m’accompagne, des gestes simples de la vie aux rituels ou divinations que j’exerce », explique-t-elle. Tout au long de sa journée, la magie la suit. Lorsqu’elle se maquille, elle en profite pour dessiner des symboles de protection avec ses produits. Le soir, lorsqu’elle prend sa douche, elle « médite et se purifie de tous les moments négatifs ».
La sorcière moderne n’est pas exactement comme ses ancêtres
Thierry Jobard, libraire et auteur du livre sur l’ésotérisme Je crois donc je suis, donne des explications à cette recrudescence de sorcières modernes : « Une des raisons est la perte d’influence du christianisme et du catholicisme. » Le christianisme exerçait un monopole de la croyance mais, avec son déclin au XXe siècle, il y a eu un vide sur le marché. L’autre cause est l’individualisation de la croyance. « Avant, socialement, il fallait s’intégrer dans le religieux parce que ça encadrait toute la vie sociale », met en avant Thierry Jobard.
Aujourd’hui, on pourrait questionner l’existence de la sorcière moderne. Est-ce que les sorcières modernes sont réellement les mêmes que celles de l’imaginaire collectif du Moyen-Âge et de la Renaissance ? « Non, aucun lien. Le new age s’inspire d’un mouvement qui s’appelle Wicca et qui a été créé en Angleterre et en Irlande [au XXe siècle] par des gens qui étaient des ‘’savants’’ », dénonce Hugues Berton, ethnologue et président de l’association SEREST (Société d’études et de recherches des survivances traditionnelles). Avec cette association, l’ethnologue travaille sur les croyances, notamment celles présentes en Auvergne. Il a réalisé une enquête sur 30 ans afin de recueillir les témoignages oraux des anciens. Selon lui, les créateurs du mouvement Wicca « veulent redonner une image de marque » à la sorcière. Cette nouvelle pensée s’inspire de l’ésotérisme et se base sur la pratique de la sorcellerie.
Thierry Jobard dresse le même constat. À la Renaissance, on était dans une pensée magique, c’est-à-dire que l’on pensait qu’il pouvait y avoir des influences à distance, plus communément appelées : des sorts. « Aujourd’hui, on n’est plus du tout là-dedans, puisque justement, on est dans l’héritage d’à peu près 300 ans de pensée rationnelle », explique-t-il. « Il y a une espèce de cohabitation qui se fait entre le paradigme rationnel et le paradigme magique », ajoute l’auteur.
Les sorcières modernes, malgré leur croyance, vont, si elles sont malades, chez le médecin. Elles se réfèrent à la science moderne mais pratiquent aussi la magie. Ce qui entraîne cette cohabitation est qu’il y a une remise en cause de la science. Certaines personnes considèrent que la science a conduit à la destruction de notre environnement actuel. « La science n’explique pas tout, il y a des choses pour lesquelles on n’a pas de réponse. Ces réponses, elles vont donc les chercher ailleurs », précise Thierry Jobard.
Quant aux sorcières des réseaux sociaux, leur croyance est inspirée des anciennes sorcières, mais elles sont conscientes de l’évolution des pratiques cultuelles. « La pratique a changé au cours du temps, l’humain a aussi évolué. C’est ce qui nous a amené à créer de nouveaux courants », déclare Maria, l’influenceuse. Selon une étude de l’IFOP, la croyance en la sorcellerie augmente ces derniers temps. En 2020, 28 % de la population déclarait croire en la sorcellerie, contre 21 % en 2000.
Réhabilitation de l’image de la sorcière
Au XVIIe siècle, les sorcières étaient vues comme des femmes qui nuisaient à la population. « Il y avait un vieux proverbe dans les campagnes qui disait “Qui peut le bien, peut le mal”. Si elles peuvent défaire une maladie, elles peuvent aussi jeter une maladie », cite l’ethnologue Hugues Berton. Les jugements à l’encontre des sorcières supposées n’étaient pas exempts de misogynie. En effet, les femmes accusées étaient souvent des femmes seules, des femmes s’étant remariées après un premier mariage ou des femmes isolées. « À partir du moment où il y en a une qui revendique un peu de liberté, elle devient sorcière », dénonce-t-il.
« Avant le Moyen-Âge, les sorcières étaient des guérisseuses, qui savaient guérir les gens, qui étaient porteuses de savoir sur les plantes, qui connaissaient les animaux », explique Christelle Imbert, coautrice du livre Les enfants de Salomon et ayant travaillé avec Hugues Berton. Mais, depuis les années 2000, « la sorcière devient une émancipatrice, une femme de pouvoir, une femme qui essaie de se sortir des normes », ajoute-elle. Cette image est notamment transmise avec les représentations créées dans la pop-culture comme les séries télévisées Sabrina l’apprentie sorcière, Ma Sorcière Bien-aimée ou encore le personnage de Hermione Granger dans la saga Harry Potter.
Aujourd’hui, avec ces représentations mélioratives, la sorcière moderne assume être une sorcière. « L’image de la sorcière est de nos jours beaucoup plus agréable. Les gens, autour de nous, nous imaginent aussi comme des personnes très joyeuses et en connexion avec la nature, ce qui n’est pas faux, et l’image de la méchante sorcière est beaucoup moins présente », commente Maria.
Être sorcière : une histoire de féminisme
On relie aussi souvent l’image de la sorcière contemporaine avec le féminisme. Autrefois chassées, les sorcières sont aujourd’hui dans la rue pour défendre leurs droits. Et cela ne date pas d’hier, comme l’explique Thierry Jobard : « Dans les années 1970, il y a eu une remise en valeur de la figure de la sorcière. Il y a eu cette idée que le féminin possède une forme de sagesse et de rapport à la nature plus directe. »
La sorcière est alors souvent utilisée comme symbole par les mouvements féministes. Cela a notamment été le cas aux États-Unis avec le groupe féministe W.I.T.C.H (Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell, soit en français la Conspiration terroriste internationale des femmes de l’enfer) dès les années 1960. Une branche française a été créée en 2017 ; WITCH Bloc Paris. Elle n’est cependant plus active aujourd’hui, mais le lien entre les sorcières et le féminisme est encore présent. Dans les manifestations, on peut retrouver le célèbre slogan « nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas réussi à brûler ».
Comment parler de l’image moderne de la sorcière sans évoquer l’ouvrage de Mona Chollet Sorcière : La puissance invaincue des femmes, sorti en 2018 ? Dépassant les 250 000 ventes en 2021, le livre fait le lien entre le féminisme et les sorcières. En quatrième de couverture, l’auteure justifie cette réappropriation de l’image de la sorcière : « Image repoussoir, représentation misogyne héritée des procès et des bûchers des grandes chasses de la Renaissance, la sorcière peut pourtant servir pour les femmes d’aujourd’hui de figure d’une puissance positive, affranchie de toutes les dominations. »
L’association Les Sorcières de Mâlain (située en Côte-d’Ôr), créée en 2017 par Régine Laraudogoitia-Chaineaux, a pour rôle de perpétuer le savoir-faire ancestral des sorcières. Aujourd’hui renommée Les Belles Laideurs, elle organise à Mâlain, tous les deux ans, la Fête de la Sorcière. Au travers d’animations dans les rues de la ville, Régine Laraudogoitia-Chaineaux et les autres membres partagent les connaissances des anciennes sorcières. « J’ai acheté beaucoup de carnets de grand-mère, j’ai cherché tout ce qui a un rapport avec les sorcières », explique-t-elle. Cela passe à la fois par l’utilisation des plantes, ou encore les habitudes de vie de ces dernières.

Certaines dérives
Ce nouveau mouvement de croyance n’a pas que des aspects positifs. En ce qui concerne les Wiccans (les personnes pratiquant la religion Wicca), la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) surveille les dérives. Certains sorciers et sorcières wiccans à travers le monde se sont réunis au sein de ce que l’on appelle des covents. Tous ne sont pas dangereux, mais certains utilisent la magie noire et peuvent s’apparenter à une secte.
L’autre aspect qu’il est essentiel d’aborder est financier. Certaines personnes pratiquant la sorcellerie montent une entreprise associée et espèrent bien tirer un profit sonnant et trébuchant de l’attrait des gens pour leurs pratiques. « Il y en a qui vont en faire un business, vendre des potions, des élixirs, des filtres… », liste Thierry Jobard. Ce dernier ajoute tout de même que ce genre de ventes reste généralement « de la sorcellerie bienveillante ».
Depuis des siècles, la sorcière est un personnage qui fascine la société. « La sorcière continue d’intriguer », déclare Régine Laraudogoitia-Chaineaux. D’abord chassées, les sorcières voient ensuite leur image réhabilitée par les néo-sorcières (à travers les divers mouvements féministes et les comptes sur les réseaux sociaux). Mais ce n’est pas seulement leur image qui est restaurée. De nombreux pays réhabilitent les sorcières tuées à différentes époques. C’est le cas de la Catalogne où, en 2022, le Parlement a approuvé une résolution visant à réhabiliter les femmes jugées pour sorcellerie entre le XVe et le XVIIIe siècle. Ailleurs, un devoir de mémoire a été instauré pour ces femmes. C’est ce qu’a proposé la célèbre ville de Salem. En 2017, un mémorial a vu le jour en l’honneur des quatorze femmes et cinq hommes pendus en 1692 dans la petite communauté de l’est des États-Unis car convaincus de sorcellerie.
Inde : les chasses aux sorcières sont toujours d’actualité
En France, les sorcières contemporaines exercent librement sur les réseaux sociaux. Mais dans certains pays, la sorcière reste une personne qu’il faut éliminer pour le bien de la population. C’est le cas en Inde, où, encore, aujourd’hui, ce sont des milliers de femmes accusées de sorcellerie qui sont assassinées.
On pourrait croire que les chasses aux sorcières sont un phénomène archaïque, définitivement remisé dans les oubliettes de l’Histoire. Pourtant, dans le monde, de réelles chasses aux sorcières sont toujours organisées. C’est notamment le cas en Papouasie-Nouvelle-Guinée, en Afrique subsaharienne ou encore en Inde. Selon le National Crime Records Bureau (NCRB) indien, entre 2001 et 2014, 2290 personnes ont été tuées après avoir été accusées de sorcellerie. Dans la majorité des cas, c’étaient des femmes.
« C’est un type de violence faite envers les femmes, découlant de croyances superficielles. » Sindhuja Parthasarathy, une photojournaliste documentaire humanitaire indépendante basée à Chennai (sud-est de l’Inde), a traversé le pays afin de documenter les questions liées aux droits de l’homme, rassemblant de nombreux témoignages. Pour l’une de ses enquêtes, elle a décidé de porter son attention sur les chasses aux sorcières. Elle a posé sa caméra dans des villages indiens et recueilli les témoignages de femmes. À travers son périple, elle a rencontré Chutni Mahato, une travailleuse sociale. « Elle a aidé beaucoup de femmes. Lorsqu’elle apprend qu’une femme est victime d’accusations de sorcellerie, elle se rend dans le village en question et aide la victime », explique Sindhuja. Chutni l’a notamment mise en contact avec des témoins qui pouvaient lui dépeindre les massacres qui se déroulent dans l’État du Jharkhand, dans le nord de l’Inde.
À Dumra, un village de Jharkhand, Sindhuja Parthasarathy a pu collecter le témoignage poignant d’une femme accusée de magie noire. Tout commence lorsqu’un jeune homme de 18 ans meurt. Une femme du village a été pointée du doigt par le village et accusée d’avoir invoqué des esprits pour faire mourir le garçon. « Ce dernier est en fait mort d’un cancer », dénonce la photographe.
« Une femme peut être utilisée comme un outil »
Cette histoire est malheureusement loin d’être un cas isolé. Les femmes sont souvent accusées d’utiliser la magie noire pour faire le mal. Mais les croyances invoquées sont en général une excuse, les prétendues sorcières sont violentées pour d’autres raisons. « Si je veux faire du mal à un homme, je peux tuer sa femme. Une femme peut être utilisée comme un outil », regrette Sindhuja. Si un homme veut s’en prendre à une personne, il lui suffit de jouer avec les accusations de sorcellerie. Il peut répandre une rumeur selon laquelle une femme est une sorcière et cette dernière est accusée d’utiliser la magie noire. Sachant que les villages isolés et pauvres du nord de l’Inde sont les territoires où les superstitions sont les plus fortes, l’homme est sûr d’aboutir à ses fins.
Les hommes peuvent aussi vouloir se venger de certaines femmes. « Les hommes à la tête du village peuvent demander des faveurs sexuelles aux femmes. Si elles refusent, ces derniers veulent se venger et ils peuvent accuser des femmes de sorcellerie », explique la photographe.
Une fois accusées de sorcellerie, les femmes endurent un véritable calvaire. Rasage des cheveux, isolement à l’extérieur du village, défilés nues, viols, coups de bâton, … « J’ai entendu dire que des femmes peuvent se faire électrocuter », ajoute Sindhuja. Tous les moyens sont bons pour humilier les soi-disant sorcières.
Des attaques dans les États isolés
Sindhuja Parthasarathy l’assure, elle « ne pense pas que les chasses aux sorcières soient communes ». Selon elle, ces événements arrivent principalement dans les territoires isolés et pauvres de l’Inde. On observe d’ailleurs une forte présence dans des États tels que Jharkhand déjà cité, ou encore le Bihar (nord-est).
Même si le gouvernement fédéral indien s’est officiellement positionné contre les chasses aux sorcières, cela ne veut pas dire qu’elles n’existent plus. Sindhuja Parthasarathy l’accorde, il reste encore des efforts à fournir. La photographe propose d’ailleurs trois mesures pour lutter contre les violences : « Sur le plan législatif, il faudrait mettre en place des dispositifs plus efficaces sur le terrain ». La photographe explique aussi la nécessité de sensibiliser la population face à ces violences. « Troisièmement, il faudrait mettre en place dans chaque village des personnes qui pourraient agir directement lorsqu’une femme est accusée. » Même s’il y a déjà les commissariats, mais à cause des croyances superstitieuses, les femmes ne sont pas écoutées.
Jade Belleville