À Pont-du-Château, un maire (presque) seul contre tous pour l’accueil de mineurs non accompagnés

Par Clara GAZEL

Le projet d’ouverture d’un centre d’accueil pour mineurs non accompagnés à Pont-du-Château (Puy-de-Dôme) divise élus et habitants depuis plusieurs semaines. Ce débat local, instrumentalisé par l’extrême droite, illustre le rejet grandissant de la prise en charge des mineurs étrangers en France et met en lumière le sentiment d’abandon des maires exposés à ces tensions.

À Pont-du-Château, façade de l’hôtel-restaurant L’Estredelle fermé depuis plusieurs années et choisi pour accueillir des mineurs non accompagnés.
À Pont-du-Château, l’établissement hôtelier L’Estredelle, fermé depuis plusieurs années, est le lieu choisi par l’Anras pour l’implantation d’un centre d’accueil pour mineurs non accompagnés. Crédit : Clara Gazel.

« Si dans mon groupe je suis mis en minorité pour l’accueil de ce centre, alors je quitterai mon poste de maire. » À Pont-du-Château, non loin de Clermont-Ferrand, Patrick Perrin, premier édile de la commune divers gauche (DVG), tire la sonnette d’alarme et menace de démissionner. À l’origine de la vive polémique déclenchée en décembre dernier, le projet porté par l’Association nationale de recherche et d’action solidaire (Anras), qui prévoit de racheter puis de transformer un ancien hôtel-restaurant en centre d’accueil pour mineurs non accompagnés. La divulgation de cette information, relayée sur les réseaux sociaux par un élu d’opposition, a déclenché une vague de réactions et une récupération politique par l’extrême droite.

L’initiative, lancée dès 2019 par l’Anras en réponse à un appel à projet conduit par le département du Puy-de-Dôme, vise à accueillir 39 mineurs non accompagnés. L’objectif : permettre à ces jeunes une mise à l’abri dans le cadre d’un accueil provisoire d’urgence et d’un premier accompagnement social. Pour ce faire, l’association a porté son choix sur L’Estredelle, un ancien hôtel-restaurant fermé depuis cinq ans, qui « coche toutes les cases pour accueillir dignement ces jeunes », selon Patrick Perrin.

Opposition et instrumentalisation par l’extrême droite

Le choix est cependant loin de faire l’unanimité au sein des oppositions politiques. « Cet établissement, situé au bord de l’Allier, est un atout touristique capital pour développer l’attractivité de la commune », dénonce Christophe Cescut, élu divers droite (DVD). C’est lui qui, par un post Facebook, a enflammé le débat et ouvert la voie à une mobilisation et une récupération politique par l’extrême droite.

capture d’écran du post Facebook de Christophe Cescut, élu d'opposition à Pont-du-Château.
Capture d’écran du post Facebook de Christophe Cescut, élu d’opposition à Pont-du-Château. Crédit : Christophe Cescut.

La contestation s’est amplifiée après un appel à manifester « contre l’arrivée des migrants », lancé sur les réseaux sociaux. Le 20 décembre, les opposants au projet se sont rassemblés devant la mairie de Pont-du-Château. Parmi eux figuraient des membres du groupuscule d’extrême-droite Clermont non conforme et son leader, Tristan Arnaud, condamné à deux ans de prison, dont un ferme, pour avoir agressé un militant antifasciste à Clermont-Ferrand.

Brandissant banderoles et pancartes, les opposants et les partisans au projet de centre d’accueil se font face lors du rassemblement devant la mairie de Pont-du-Château.
Opposants et partisans au projet d’accueil de mineurs non accompagnés se sont donné rendez-vous devant la mairie de Pont-du-Château le 20 décembre 2024. Crédit : Nicolas Cheviron

Une instrumentalisation politique dénoncée par l’association Réseau éducation sans frontières du Puy-de-Dôme (RESF 63), qui, dans un communiqué, a déclaré que « certaines voix d’extrême droite tentent de manipuler l’opinion publique en stigmatisant ces jeunes en situation de grande précarité ».

« Un maire seul face aux critiques »

Le maire de la ville partage cette indignation. « Pont-du-Château, c’est plutôt calme et bon enfant, mais cet événement a réveillé une forme de racisme décomplexé, constate, désabusé, Patrick Perrin. J’ai même une élue qui m’a lancé ″ces jeunes il n’y a qu’à les mettre au milieu des champs et les faire bosser″. Honnêtement, je n’imaginais pas que de tels propos puissent encore exister»

Sollicité pour avis par le Conseil départemental, en charge de la protection et de l’aide sociale à l’enfance et par conséquent de l’accueil des jeunes non accompagnés, Patrick Perrin s’est prononcé pour la réalisation de ce projet. « Je vais sans doute être minoritaire au sein même de mon groupe sur cette question, mais il y a plein d’exemples où ça s’est très bien passé, insiste l’édile castelpontain. Comme à Bellenaves dans l’Allier, par exemple, où, selon les mots de l’ancien maire, ″ça n’a peut-être pas été simple au départ, mais aujourd’hui tu ne les ferais pas partir parce que grâce à eux le village revit″. »

Isolé au sein même de sa majorité, Patrick Perrin regrette ainsi de se retrouver seul en première ligne, contraint de « tirer les vers du nez du président du département pour avoir des informations claires sur le projet, alors ce dernier détient la décision finale ». Pour Marianne Maximi, députée La France Insoumise (LFI) du Puy-de-Dôme, la collectivité départementale n’a pas suffisamment pris ses responsabilités. « Le conseil départemental n’a pas pris la peine de faire de la pédagogie auprès des habitants pour expliquer quelle est sa compétence en matière de protection des droits des enfants, fustige la parlementaire. Par son silence et son manque de transparence, il a une responsabilité dans le fait qu’on ait un maire seul face à des critiques et que face à celles-ci il n’ait pas les armes pour répondre. »

« La France a un devoir moral »

Cet épisode n’est pas sans rappeler les difficultés rencontrées et les pressions subies par d’autres maires favorables à l’accueil de jeunes mineurs ou de demandeurs d’asile, comme ce fut le cas à Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique), en 2023. Yannick Morez, alors maire de cette petite station balnéaire, avait été harcelé et pris à partie par l’extrême droite pour avoir soutenu le projet d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada), avant de démissionner.

Selon Marianne Maximi, le cas de Pont-du-Château illustre également « la menace exercée par certains départements de droite qui, dans l’illégalité, ont refusé d’accueillir des mineurs non accompagnés ». En septembre 2023, le Territoire de Belfort a été le premier département français à voter un tel refus, rapidement suivi par d’autres comme l’Ain, la Vienne, le Vaucluse, ou le Jura, qui ont à leur tour annoncé des mesures similaires.

Ces décisions vont pourtant à l’encontre de la convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France en 1990. Depuis 2013, l’accueil, l’évaluation, l’hébergement et la prise en charge de ces jeunes mineurs isolés relèvent de la compétence des départements dans le cadre de leur mission de protection de l’enfance. Le collectif RESF 63 rappelle que « la France a le devoir moral et l’obligation légale de leur offrir protection, accompagnement et éducation ».

Vers une politique de durcissement ?

La députée Marianne Maximi va plus loin et pointe que « les départements ont souvent recours à l’hébergement en hôtel pour l’accueil provisoire d’urgence de ces mineurs ». Pourtant, la loi Taquet de 2022 leur interdit ce type d’hébergement qui ne permet pas « d’assurer des conditions de logement décentes et adaptées ». Pour le maire de Pont-du-Château, l’accueil des mineurs non accompagnés est « un sujet d’importance et de portée nationale ».

L’édile insiste sur l’ampleur du défi : le département du Puy-de-Dôme compte 700 mineurs non accompagnés sur son territoire et ce projet de centre ne pourrait en accueillir que 39. « Autant dire qu’on est bien loin du compte », relève avec gravité le maire. Avant d’ajouter : « Il y a urgence à sortir ces jeunes des hôtels et à leur offrir un cadre de vie stable et digne ! »

Patrick Perrin se dit « très inquiet » de la possible reprise en main de cette compétence d’accueil par l’État. Inquiétude partagée par Marianne Maximi : « Au niveau législatif, la droite essaye de transférer cette compétence à l’État par le biais des préfectures, ce qui intègrerait la prise en charge des mineurs dans le cadre du droit des étrangers, explique la parlementaire. Un accompagnement des mineurs uniquement basé sur le droit des étrangers, c’est pour moi un glissement très grave. » Une orientation portée par la droite qui s’inscrit dans un contexte politique de durcissement des critères de régularisation, symbolisé par la circulaire présentée par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, le 23 janvier dernier.

Dans ce climat de tensions croissantes tant à l’échelle locale que nationale, Patrick Perrin, maire de Pont-du-Château, tente de faire entendre sa voix et persiste à défendre le projet d’accueil de jeunes mineurs. « J’attends de voir quelle sera la décision prise par le conseil départemental, mais je ferai savoir mon avis favorable à ce projet, même si je suis minoritaire », assure l’édile.Conscient des oppositions, il réaffirme clairement ses convictions : « Si je suis capable de dire non à ce projet, alors je dis non à tout, et refuser ce projet, ce serait renoncer à mes valeurs humanistes, et ça c’est impossible. »

Boite noire : contactée, l’Anras, association porteuse du projet, a déclaré ne vouloir donner « aucune interview à la presse ». Également sollicités, les deux conseillers départementaux du canton de Pont-du-Château ont fait savoir qu’ils « ne souhaitaient pas intervenir sur ce sujet porté par la mairie et le département ».

Clara Gazel

Actualisation : Depuis la réalisation de cette enquête, le conseil municipal de Pont-du-Château a rendu un avis négatif, par une majorité de 17 voix sur 31, sur l’ouverture d’un CADA dans la commune. Le résultat de cette consultation a été transmis au conseil départemental, qui seul a un pouvoir de décision dans ce domaine. A la suite de ce vote, le maire, Patrick Perrin, a cependant annoncé qu’il ne se représenterait pas aux prochaines élections municipales, en 2026.