Surcharge administrative : « Quand vous êtes maire, votre temps ne vous appartient plus ! »
Par Robin LECOMTE
Des enquêtes réalisées auprès des maires de France ont révélé un vrai mal être au sein de la fonction. Une situation constatée aussi en Auvergne, qui s’explique en partie par une surcharge administrative, véritable obstacle au travail quotidien des édiles.

Est-ce la fonction la plus ingrate de la République française ? Cela fait maintenant plusieurs années que les maires de France peinent à retirer du bon de leur mandat. À travers deux enquêtes publiées en novembre 2023 et 2024, le Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) dresse un constat – les maires sont sous pression- et formule un diagnostic : l’aggravation de la situation par une spécialité française dont chacun aimerait se passer, la surcharge administrative.
Si le problème s’intensifie en ce moment, c’est que les contraintes administratives augmentent. Chaque action que le maire veut entreprendre pour sa commune est encadrée par une multitude de normes. « Les tâches administratives ont augmenté et se sont modifiées. On a dû s’adapter à la digitalisation de ces tâches et se former, explique Élisabeth Blanchet, maire de Chappes, dans l’Allier, les centres de ressources de l’État, qui nous permettaient de l’interroger directement, se sont éloignés. Ces tâches se sont aussi complexifiées, car on a vu émerger tout un tas de plateformes pour les remplir. » Cette multitude d’encadrements chronophages oblige les maires à organiser méticuleusement leur quotidien. « Ce n’est pas tenable, on a des priorités et on doit parfois laisser des choses de côté », complète Élisabeth Blanchet.
Être maire, une affaire de terrain
Pour les maires, la raison de cette surcharge est toute trouvée, elle vient de l’appareil législatif. « On n’est pas entendus par le législateur ! Depuis la fin du cumul des mandats, un certain nombre de députés ne sont plus dans les exécutifs locaux. Donc, quand on leur parle de terrain ça leur passe au-dessus de la tête », assure Florian Neuvy, maire de Cébazat, dans le Puy-de-Dôme. Une opinion corroborée par Élisabeth Blanchet, qui souligne à l’inverse que « le mandat de maire, c’est un apprentissage pour rester terre-à-terre ».
Pour les parlementaires, en revanche, l’argument est difficilement recevable. « Les liens forts avec les élus locaux, la présence d’une permanence parlementaire et les déplacements réguliers sur le terrain peuvent aussi permettre de bien connaître le tissu local », défend Delphine Lingemann, députée MoDem du Puy-de-Dôme et conseillère municipale de Royat.
Toutefois, l’élue admet que tous les parlementaires ne voient pas cette présence sur le terrain comme un aspect central de leur rôle. « Lorsque la présence sur le terrain n’est pas assez prononcée, le risque est d’être dans une distanciation trop forte des problématiques locales. Les députés sont alors moins à même de porter les intérêts des citoyens dans la loi », prévient-elle.
« La complexité administrative, c’est l’écosystème de la haute administration, et ça lui va très bien » Florian Neuvy
Maire où donner de la tête ?
L’enquête du CEVIPOF révèle par ailleurs une présence étatique sur le terrain qui vient gêner les maires dans l’exercice de leur fonction. L’État va en effet tenter de piloter les maires dans leurs tâches administratives, créant au passage un enchevêtrement dans les procédures et ralentissant les actions sur le terrain. « La complexité administrative, c’est l’écosystème de la haute administration, et ça lui va très bien », commente Florian Neuvy.
Pour garantir le respect de toutes les normes, les maires doivent s’adresser à une multitude d’instances de régulation comme la préfecture, la police de l’eau, la police de l’environnement, la police de l’urbanisme… Des échanges souvent constructifs mais qui rallongent les délais de mise en œuvre. « Toute cette administration est nécessaire au bon fonctionnement des institutions. Elle n’est cependant pas toujours très accessible et nécessiterait une simplification », nuance Delphine Lingemann.

L’incompréhension des citoyens
Si toute cette organisation administrative, est un poids pour les maires, elle influe aussi sur la relation aux administrés. « Il y a une incompréhension de la population ! Ils se demandent pourquoi tout prend autant de temps. Elle est, elle-même, confrontée à cette folie administrative. Parce que les gens qui veulent respecter la loi, aujourd’hui, sont plus emmerdés que les autres », déplore Florian Neuvy.
Pour que les administrés n’en viennent pas à porter directement le poids de cette lourdeur normative, les maires s’efforcent de répondre au plus vite aux demandes de chacun. Un équilibre pas facile à trouver, comme l’explique Élisabeth Blanchet : « Il faut être vigilant, quand on voit que l’administratif prend le dessus sur les problèmes directs de nos concitoyens, ça doit être un signal d’alarme dans notre tête. »
Ces situations complexes font parfois monter un climat de tension au sein de la commune. Malgré tout, l’enquête CEVIPOF démontre que 62 % des maires estiment avoir encore la reconnaissance des citoyens de leur commune. Un chiffre qui a baissé de onze points en trois ans, mais qui reste encourageant.
Le soutien se trouve dans la solidarité
À l’opposé, seulement 30 % des maires estiment bénéficier d’une reconnaissance suffisante de la part de l’État. Un chiffre qui baisse à 26 % dans les communes de moins de 1000 habitants. Pour trouver un soutien extérieur, les maires des petites communes rurales s’appuient donc sur leurs homologues. « On est proches les uns des autres et on échange beaucoup », confirme Élisabeth Blanchet.
Cette solidarité peut également se modéliser sous la forme d’intercommunalités, un mode de coopération entre les communes. « Sans les intercommunalités, je ne sais pas comment on ferait. Elles apportent une couverture sur nos communes et nous soulagent de plusieurs tâches », souligne Élisabeth Blanchet. Depuis les années 1990, ce type d’organisation se développe aussi bien dans les territoires ruraux qu’urbains.
« En mairie, il faut une équipe soudée, pour que le service administratif tienne le choc et que la commune puisse avancer » Élisabeth Blanchet
Une surcharge administrative qui fait des vagues
Les édiles peuvent aussi compter sur une aide précieuse au sein de leur mairie, celle de leur équipe municipale, à laquelle le maire peut déléguer des secteurs précis de la vie communale et alléger ainsi sa charge de travail. Pour les communes rurales, les équipes sont réduites et chaque conseiller municipal doit couvrir des domaines larges. « Dans une mairie, tout le monde n’est pas au même degré d’investissement. Il faut donc une équipe soudée, pour que le service administratif tienne le choc et que la commune puisse avancer », affirme Élisabeth Blanchet.
Le personnel de mairie se retrouve, lui aussi, impacté par la surcharge administrative. Un effet néfaste qui a des conséquences directes sur le travail réalisé par ces derniers. « Je pense qu’il faut améliorer le statut des secrétaires de mairie. Une loi a été votée en ce sens en décembre 2023. Leur travail consiste à diminuer la surcharge administrative qui repose sur les maires, ce qui leur libère du temps de travail sur le terrain », explique Delphine Lingemann. Une revalorisation de statut souhaitée aussi par l’Association des Maires de France (AMF) pour les élus eux-mêmes.

Comment imaginer l’avenir ?
Face à cette surcharge administrative, les élus sont remplis de doutes quant à l’avenir de leur fonction. « Il y a de moins en moins de passion pour la fonction de maire. Avant, cette passion venait de la capacité des maires à conduire des projets pour leur ville. Aujourd’hui, on se demande : » Mais à quoi je sers ? « », déplore Florian Neuvy. Pour autant, selon le CEVIPOF, la France compte près d’un million de candidats sur les listes lors des élections municipales, sur un corps électoral de 47 millions de personnes.
C’est le plus fort ratio au monde, mais il ne garantit pas une continuité de l’engagement citoyen. Car la fonction de maire suppose un engagement sur cinq ans et un certain nombre de sacrifices. Une réalité soulignée par Élisabeth Blanchet, « C’est une fonction qui nécessite de l’engagement, qui suppose d’avoir le cuir épais et aucun ego… Je pense que ce sera compliqué à l’avenir, ce qui ne veut pas dire que ce sera infaisable. » Une configuration qui ne suit pas la volonté des Français, qui se retrouvent plus dans un engagement à court terme.
Pour contrer le risque d’une crise des vocations, les maires ont suggéré au CEVIPOF une hausse de leur indemnisation une revalorisation de leur fonction. Pour Florian Neuvy, la mesure, souhaitable, ne résoudra toutefois pas le problème dans son entier : « Les personnes qui sont maires ne le sont pas pour des raisons financières. Si les indemnités augmentaient, ce ne serait pas ça qui rendrai le quotidien plus facile ». Pour améliorer leurs conditions d’exercice, une proposition de loi visant à créer un statut de l’élu local a été déposée au Parlement en janvier 2024. Pour l’heure, le quotidien ne leur appartient plus, tant ils sont pris dans les rouages de la mécanique administrative.
Robin Lecomte