L’Allier en surchauffe : quand le climat menace la rivière

Par Baptiste IMBERT

Avec les récents épisodes de sécheresse et les records de température enregistrés en France, la rivière Allier n’échappe pas aux effets du changement climatique. Baisse des débits, altération de la biodiversité, menaces sur les écosystèmes… Expert en milieux aquatiques, Thibaut Rosak éclaire les enjeux de cette mutation en cours.

Photo montrant les bords de l’Allier.
La longueur totale de l’Allier est de 420,7 km. Crédit : Baptiste Imbert

Depuis plusieurs années, les effets du changement climatique sur les cours d’eau se font de plus en plus ressentir. La rivière Allier, qui traverse le département du même nom et borde la ville de Vichy, n’est pas épargnée par ce phénomène. Entre hausse des températures, baisse des débits et altération de la biodiversité aquatique, l’avenir de « la dernière rivière sauvage d’Europe » est en jeu. Thibaut Rosak, responsable technique à la Fédération de l’Allier pour la pêche et la protection du milieu aquatique, nous aide à mieux comprendre les enjeux et les conséquences de ces changements.

En 2014, un réseau de suivi de la température des cours d’eau a été mis en place dans l’Allier. Initialement composé d’une vingtaine de stations, ce dispositif s’est étendu à une cinquantaine de sites aujourd’hui. L’objectif est d’obtenir des données de température heure par heure afin de mesurer l’impact du réchauffement climatique sur les cours d’eau du département.

Une augmentation constante des températures

Les résultats sont sans appel : « Sur les sites suivis depuis une dizaine d’années, on observe soit une stabilité, soit une augmentation des températures, jamais de baisse », explique Thibaut Rosak. Cette hausse peut aller jusqu’à 2°C en moyenne sur les trente jours les plus chauds de l’année. Cette valeur est cruciale, notamment pour les espèces sensibles comme la truite fario, dont la survie est menacée dès que l’eau dépasse les 25°C.

Outre les poissons, cette élévation des températures affecte également la flore aquatique. Des algues prolifèrent plus rapidement, modifiant l’équilibre biologique des milieux naturels. « Une eau plus chaude favorise le développement d’algues filamenteuses qui peuvent étouffer certains habitats aquatiques et réduire l’oxygénation de l’eau », précise Thibaut Rosak.

Une baisse préoccupante des débits

Le réchauffement climatique ne se limite pas à une simple hausse des températures. Il affecte également les débits des cours d’eau. Selon une étude menée par l’Office français de la Biodiversité (OFB), le département de l’Allier pourrait voir son hydrologie annuelle diminuer de 30 % d’ici 2050, avec une baisse des précipitations estivales de l’ordre de 25 % par rapport à la seconde moitié du XXe siècle.

Les impacts se font déjà sentir. « Les étés 2018, 2022 et 2023 ont été parmi les plus chauds jamais enregistrés, avec des périodes de sécheresse prolongées », rappelle Thibaut Rosak. La diminution des débits, pouvant atteindre entre 20 et 60 % selon les zones du département, entraîne une baisse du renouvellement de l’eau et une augmentation de la concentration des polluants, ce qui fragilise encore davantage les milieux aquatiques.

Cette baisse de débit impacte aussi les usages humains de l’Allier. L’alimentation en eau potable, l’irrigation agricole et même certaines activités touristiques sont directement affectées. Des restrictions d’usage de l’eau ont été mises en place à plusieurs reprises ces dernières années.

Une biodiversité en péril

Avec des eaux plus chaudes et moins abondantes, la biodiversité aquatique est en danger. Certaines espèces, comme la truite fario et d’autres salmonidés, voient leur habitat se réduire progressivement. « Il y a 20 ans, on trouvait encore de la truite en plaine dans le Bourbonnais. Aujourd’hui, elle a quasiment disparu », constate Thibaut Rosak.

Parallèlement, des espèces plus résistantes et parfois invasives prennent le relais. C’est notamment le cas du pseudorasbora, un petit poisson asiatique qui prolifère dans les eaux chaudes. « On assiste à une banalisation des peuplements aquatiques, avec une perte des espèces typiques des cours d’eau de première catégorie », alerte l’expert.

L’impact ne se limite pas aux poissons. La chaîne alimentaire tout entière est affectée. Les insectes aquatiques, source essentielle de nourriture pour de nombreuses espèces, sont en régression depuis plusieurs décennies. Cette diminution est liée à plusieurs facteurs : pollution chimique, usage de pesticides, mais aussi prolifération des algues due à l’excès de nutriments dans l’eau.

La pollution, un facteur aggravant

Outre le changement climatique, les activités humaines ont un impact direct sur la qualité des eaux de l’Allier. L’agriculture intensive et l’usage de pesticides contribuent à la dégradation des habitats aquatiques. « Certains cours d’eau affichent des niveaux de nitrates très élevés, ce qui favorise l’eutrophisation », explique Thibaut Rosak. L’eutrophisation est un processus de prolifération excessive d’algues dû à un excès de nutriments, entraînant une diminution de l’oxygène dans l’eau et menaçant la biodiversité aquatique.

Les industries situées à proximité de l’Allier rejettent également des substances polluantes comme la GAEC Archer ou l’entreprise de métallurgie Aubert & Duval, bien que des régulations existent pour limiter ces impacts. Cependant, des incidents ponctuels de pollution sont régulièrement signalés. En 2021, une fuite accidentelle dans une usine proche de Moulins avait entraîné une mortalité importante de poissons sur plusieurs kilomètres.

Quels enjeux pour demain ?

Face à ces menaces, plusieurs actions peuvent être mises en place pour atténuer les effets du réchauffement climatique sur l’Allier. La végétalisation des berges, par exemple, permet de limiter le réchauffement des eaux en offrant des zones d’ombre. La réduction des prélèvements d’eau pour l’agriculture et l’industrie est également une piste essentielle.

D’autre part, la sensibilisation du public et des acteurs locaux est primordiale. « Plus on sera conscients des changements en cours, plus on pourra agir pour préserver nos cours d’eau », conclut Thibaut Rosak. Si rien n’est fait, l’Allier pourrait voir son écosystème irrémédiablement modifié d’ici quelques décennies, avec des conséquences majeures sur la faune, la flore et les activités humaines qui en dépendent.

Baptiste Imbert