Licenciements en Auvergne : industries en péril, salariés en lutte

Par Judith SEGUIN

En 2024, l’Auvergne a connu une vague de plans sociaux. Depuis novembre, 300 emplois industriels ont disparu dans le département de l’Allier. Dans le Puy-de-Dôme, c’est 214 salariés qui sont concernés par un licenciement. Le secteur industriel et le territoire montluçonnais sont les plus touchés. Une situation pas forcément justifiée, selon les syndicats, et qui a de lourdes conséquences sur les salariés et les bassins d’emplois.

Le 15 novembre 2024, plus de 300 personnes manifestaient dans le magasin Auchan de Croix-de-Neyrat contre la fermeture du magasin. En France, Auchan prévoit la suppression de 2 389 emplois et la suppression de 10 points de vente.
Le 5 novembre 2024, Auchan a annoncé la suppression de 2 389 emplois en France. À Clermont-Ferrand, un hypermarché va fermer ses portes menaçant environ 200 postes, tandis qu’à Auchan Aubière, 14 emplois seront supprimés. Crédit : Nicolas Cheviron

L’année dernière, la CGT avait recensé pas moins de 200 plans sociaux et 200 000 emplois supprimés à l’échelle nationale. La tendance devrait s’accentuer en 2025 avec entre 300 000 et 400 000 destructions d’emplois attendues. « En novembre, l’Auvergne a pris cher », se désole Laurent Indrusiak, secrétaire général de la CGT Allier. Une conséquence de la multiplication des licenciements, notamment dans trois grands groupes importants en Auvergne. Depuis novembre, 300 emplois industriels ont disparu dans l’Allier, en raison de la fermeture d’un atelier chez le spécialiste de la nutrition animale Adisseo, à Commentry, et du licenciement de 188 salariés chez le sous-traitant automobile Amis, à Montluçon. Dans le Puy-de-Dôme, 214 employés des supermarchés Auchan sont également concernés par des suppressions de postes.

À Clermont-Ferrand, les quelque 200 salariés de l’hypermarché Auchan de la Croix-de-Neyrat, un quartier populaire du nord de la ville, devaient voir leurs emplois disparaître le 17 mai 2025 avec la fermeture de leur magasin, dans le cadre d’un grand plan social qui prévoit la suppression de près de 2 400 postes au niveau national. S’ajoute à ce bilan la suppression de quatorze postes au rayon électroménager du supermarché d’Aubière.

Pour Nicolas Deluzier, délégué syndicat CGT Auchan Clermont-Ferrand, la décision est « brutale et injustifiée ». « La fermeture va avoir un impact énorme, sur les salariés, bien sûr, mais aussi pour les habitants », explique-t-il. Dans le quartier de la Croix-de-Neyrat, où vivent près de 20 000 habitants, ce magasin est avant tout un commerce de proximité. Des personnes, notamment âgées ou à mobilité réduite, peuvent venir en tramway. « C’est le seul magasin à leur disposition. La priorité reste de trouver un repreneur », poursuit Nicolas Deluzier.

Le prix payé par les salariés 

Mais en interne, les répercussions sont nombreuses car la stratégie actuelle d’Auchan inquiète. « Les plans sociaux sont faits au détriment des salariés. Auchan n’a aucune contrainte de reclasser ses employés et les aides promises ne sont pas du tout à la hauteur », explique Marianne Maximi, député La France Insoumise (LFI) du Puy de Dôme. L’élue souligne que, même s’ils sont embauchés dans une autre filiale du groupe, l’ancienneté et l’expérience des employés ne seront pas valorisées. « Certes, il y a des plans de formations mais dans des secteurs où le marché de l’emploi est bouché », poursuit-elle.

Pour compenser ces suppressions d’emplois, une nouvelle catégorie de poste va voir le jour : les « équipiers magasin ». Ce sont des emplois qui seront moins qualifiés mais qui disposeront de beaucoup de polyvalence. Les employés feront de la caisse, de la mise en rayon, de la vente en électroménager etc. Les syndicats craignent une dégradation des conditions de travail. « Les équipiers magasin, ça va un peu être les couteaux suisses moins qualifiés et sous-payés. Nous pensons qu’il va y avoir un nouveau PSE (Plan de Sauvegarde de l’Emploi) car on ne peut pas continuer comme ça », commente Nicolas Deluzier.

Une fermeture qui interroge 

Pour justifier ce plan social, le groupe Auchan a évoqué des problèmes financiers. À Clermont-Ferrand, dans le quartier de Croix-de-Neyrat, la direction du groupe a aussi motivé la fermeture par « l’insécurité et le trafic de drogue ». Une justification qui fait bondir les représentants syndicaux. « Il n’y a aucun problème de fréquentation et le magasin génère plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires », souligne Nicolas Deluzier. En réalité, le bâtiment, construit en 1972, souffre de coûts de fonctionnement élevés, avec une perte de deux millions d’euros liée à l’explosion des charges énergétiques. Mais pour la CGT, le problème de fond réside ailleurs. En 2012, Auchan avait agrandi la galerie marchande du supermarché. Un choix jugé « inutile » par le syndicat qui avait suggéré de construire un drive « qui aurait très bien marché ». « Nos propositions n’ont jamais été entendues et finalement, c’est 200 salariés qui se retrouvent sur le carreau. C’est inacceptable. »

En 2024, le groupe a annoncé une perte nette de près d’un milliard d’euros sur les six premiers mois de l’année. Pour Marianne Maximi, « c’est une diversion assez grossière d’Auchan de dire que c’est à cause de l’insécurité, parce qu’en réalité c’est juste une stratégie de rentabilité. C’est un groupe qui a en effet moins de bénéfices mais qui continue de verser des dividendes à ses actionnaires. »

Dans l’Allier, l’industrie est en péril

Dans l’Allier, le constat est tout aussi alarmant. Sur les quinze dernières années, l’industrie dans le département a perdu près de 1 800 emplois, surtout dans la métallurgie et la chimie.  Dans le bassin montluçonnais, un secteur industriel déjà fragilisé, plusieurs entreprises avaient annoncé des suppressions d’emplois en 2024. Aujourd’hui, les salariés reçoivent leur lettre de licenciement. Ces derniers mois, plus de 300 emplois industriels ont disparu. Un constat d’abord visible chez Adisseo. L’entreprise spécialisée dans la nutrition animale a fermé son atelier de méthionine (un acide aminé indispensable à la synthèse des protéines), supprimant 47 emplois. Du côté de Amis, sous-traitant automobile basé à Montluçon, c’est 188 postes qui sont menacés.

Pour les représentants syndicaux, ces licenciements ont des conséquences en cascade dans le département. « Les premiers concernés, ce sont les salariés qui se retrouvent du jour au lendemain jetés à la rue dans un bassin montluçonnais qui offre très peu d’offres d’emplois, surtout quand on a 50 ans », explique Laurent Indrusiak, secrétaire général de la CGT Allier. Mais chaque emploi détruit signifie aussi la suppression de deux ou trois emplois indirects, souligne le syndicaliste. « Pour prendre l’exemple d’Adisseo, c’est peut-être la société de nettoyage qui travaillait à temps complet sur ce site qui va à son tour être en difficulté », poursuit-il.

 Le bassin montluçonnais est un territoire où le taux de chômage est le plus élevé dans le département de l’Allier, avec un vieillissement de la population et une faible dynamique de création d’emplois. « On perd des habitants car les gens se tournent vers des secteurs propices à l’emploi », reprend Laurent Indrusiak.

La sous-traitance à l’étranger : fléau de l’industrie locale

Là encore, les représentants des syndicats ont du mal à entendre les raisons de ces suppressions d’emplois. « Chez Adisseo, on licencie pour faire plus d’argent, dénonce le secrétaire général de la CGT 03. Ils font quelques milliards d’euros de chiffres d’affaires et en même temps qu’ils licencient, ils augmentent ce qu’ils reversent aux actionnaires. Ce n’est pas normal. » La filiale du groupe Sinochem justifie les licenciements par le fait que l’atelier de production de méthionine de Commentry a des coûts de production structurellement élevés et ne pourrait pas faire face à la concurrence.  Mais pour Laurent Indrusiak, « ce n’est qu’une question de rentabilité, car cette sous-traitance, ils vont la délocaliser en Chine. »

Pour le cas Amis, c’est « une non-anticipation des pouvoirs publics de l’évolution des marchés », explique Marianne Maximi. Faute d’investissement dans la recherche et le développement, l’entreprise, qui était habituée aux voitures thermiques, n’a pas su s’adapter à la forte hausse des demandes concernant les voitures électriques. « La transition vers l’électrique résulte de décisions de l’État, mais elle impacte fortement l’industrie locale. Pourtant, aucun accompagnement, ni national ni local, n’a été mis en place », reprend-elle. Pour les représentants syndicaux, c’est aussi la volonté de sous-traiter la production vers d’autres pays qui pousse l’entreprise au licenciement. Une stratégie qui permet de tirer les coûts de production vers le bas. « C’est toujours la même chose, ce sont les actionnaires qui profitent », martèle le secrétaire général CGT 03.

Une riposte politique en construction

Face à cette vague de licenciements, Marianne Maximi appelle à une nationalisation de certains secteurs, pour les éloigner de la voracité des intérêts privés, et à une régulation plus stricte des grands groupes lorsqu’ils reçoivent des aides de l’État. « Aujourd’hui, il y a des milliards d’euros d’argent public qui partent à des grandes entreprises pour permette, par exemple, la recherche et le développement. Mais le seul résultat qu’on voit c’est qu’ils suppriment des emplois », plaide-t-elle, rappelant les cas de Michelin et de Stellantis, qui, malgré des bénéfices records, continuent de fragiliser leurs sous-traitants français. « Il faut conditionner l’obtention du CIR (Crédit d’Impôt Recherche) à la non-suppression d’emploi et à la non-délocalisation », poursuit-elle. Un argument soutenu par la CGT qui appelle l’État à jouer un rôle plus actif dans le suivi de l’utilisation des aides financières publiques par les grands groupes. « Par exemple pour Amis, l’État aurait pu aider l’entreprise à se diversifier, à chercher une autre production ou à investir sur de nouveaux outils de travail », explique Laurent Indrusiak.

En parallèle avec la CGT, la députée du Puy-de-Dôme travaille sur une proposition de loi pour interdire les licenciements boursiers qui servent uniquement à reverser plus d’argent aux actionnaires. « Si une entreprise fait des bénéfices, elle a une obligation sociale envers ses travailleurs, car ce sont eux qui produisent la richesse », affirme-t-elle.

Le secrétaire général CGT 03 précise aussi « qu’il faut essayer de faire prendre conscience aux salariés que ce n’est pas une fatalité. Il faut les encourager à déclencher un droit d’alerte économique ou à faire grève. » Grâce à ces actions, les salariés d’Adisseo ont réussi à obtenir une augmentation des primes de licenciement.

Judith Seguin