Auvergne : avenir incertain pour les stations de ski
Par Pauline BADOC
Confrontées au réchauffement climatique, les stations de ski en Auvergne subissent des saisons plus courtes et des enneigements incertains. Si la neige artificielle permet de maintenir l’activité toute la saison, elle soulève aussi des préoccupations écologiques et économiques. Les activités estivales ne suffisent pas à compenser la baisse de fréquentation liée à la diminution de la neige. Alors, quel avenir pour les stations auvergnates ?

2024 a marqué l’histoire avec une température mondiale supérieure de 1,5 °C à la période de référence 1850-1900, selon l’institut européen Copernicus. Un chiffre qui inquiète, mais qui avertit surtout d’une potentielle augmentation pouvant atteindre les +2 °C sur les prochaines décennies. Selon l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), ce niveau de réchauffement serait atteint au milieu du XXIe siècle. Cette hausse des températures affecterait en particulier les massifs de moyennes montagnes. Quelque 80 % des stations de ski seraient menacées par un risque très important de faible enneigement. L’impact est déjà visible aujourd’hui sur nos massifs auvergnats durant la période hivernale.
Pour Pierre Rigaud, administrateur à France nature environnement 63, cela ne fait guère de doutes : « L’avenir des sports d’hiver en Auvergne est assez sombre parce qu’en montagne le réchauffement climatique est beaucoup plus net qu’ailleurs. Il est plus intense puisque, dans l’ensemble de notre pays, la Terre se réchauffe de 1,5 degré de manière générale et de 2 °C dans les zones de montagne. »
« Les domaines skiables vont forcément se réduire »
Du côté des professionnels des sports de neige, la tentation est forte de relativiser l’ampleur du problème, en rappelant que l’inquiétude concernant les niveaux d’enneigement ne date pas d’hier. « Déjà dans les années 1990, les gens disaient que la neige était finie, qu’il n’y en aurait plus, que les stations s’arrêteraient », explique Jean-Michel Falgoux, directeur de l’école de ski française (ESF) de Super Besse. « Aujourd’hui, c’est un dérèglement global, mais qui se répète de plus en plus. Les années 89, 90, 91 ont connu un niveau de neige très compliqué aussi dans le Massif central », commente pour sa part Christophe Boivin, directeur de la station du Mont-Dore depuis septembre 2020.
« Les climatologues et les sociétés spécialisées nous disent qu’il y aura encore de la neige dans le Massif Central dans 15 ans, 20 ans. » Christophe Boivin
Alors pourra-t-on encore skier dans dix ans ? « Dans dix ans, il y aura certainement des épisodes de neige qui seront beaucoup plus brefs. Je pense que les domaines skiables vont forcément se réduire », affirme Pierre Rigaud. Christophe Boivin se veut plus encourageant. « Les études faites par les climatologues et les sociétés spécialisées, justement sur le prévisionnel des enneigements, nous disent qu’il y aura encore de la neige dans le Massif central dans 15 ans, 20 ans », assure-t-il. Le directeur de la station du Mont-Dore reconnaît cependant l’impact du réchauffement : « Les chutes, on les a toujours, mais on a des périodes de réchauffement qui font que la neige fond. » Le sentiment est partagé par Jean-Michel Falgoux. « Je ne suis pas sûr que le réchauffement altère la quantité de neige qui tombe. Il impacte plutôt la tenue de la neige. Il va en tomber beaucoup d’un coup, mais elle va fondre aussi très vite », précise le directeur de l’ESF de Super-Besse.
Les montagnes auvergnates ont encore un avenir
Une chose est sûre, la neige ne tombe pas en quantité suffisante sur les pistes pour réussir à passer une saison entière sans aucune aide extérieure. C’est pourquoi les stations ont recours, depuis déjà plusieurs décennies, à la neige artificielle ou de culture. Une pratique de plus en plus nécessaire pour la survie des stations. Cependant, cette dernière fait débat. « C’est une consommation d’eau et d’énergie très importante parce qu’il est nécessaire d’alimenter les canons à neige avec de l’eau potable. C’est un risque de conflit d’usage important », souligne Pierre Rigaud, de FNE 63.
Christophe Boivin défend cependant la pratique, du moins à sa station du Mont-Dore, où le pompage de l’eau se fait directement dans la Dordogne et aux périodes où le niveau de l’eau est le plus haut. « Au maximum, sur une nuit, on sera à 8 000 mètres cubes. C’est à peu près ce qui doit passer dans la Dordogne au niveau du Mont-Dore en une heure, voire une demi-heure », assure-t-il.Le directeur met aussi en avant l’argument qu’une fois la neige de culture utilisée sur les pistes, elle fond doucement jusqu’au mois d’avril, voire début mai, « au moment où la nature en a le plus besoin, donc on fait des réserves d’eau ».
« Les activités quatre saisons ne sont pas rentables » Christophe Boivin
Si la neige de culture est une des solutions pour garder les stations de ski ouvertes lors de la saison hivernale, de nouvelles activités ont également été trouvées pour faire vivre les massifs auvergnats le reste de l’année. La randonnée, la tyrolienne ou encore le VTT font fonctionner la station durant la saison estivale. Cette solution a, malgré tout, des limites. « Les activités quatre saisons ne sont pas rentables, elles sont juste là pour accueillir les touristes et leur proposer des activités. Donc, le jour où il n’y aura plus de ski, il n’y aura plus d’activités quatre saisons », déplore Christophe Boivin.
Cependant, il est difficile, pour l’heure, d’établir la rentabilité de ces activités. En effet, selon un bilan de la Cour des comptes du 6 février 2024, « les retombées estivales sont difficiles à appréhender faute d’études suffisamment vastes et complètes sur le sujet ». D’autant qu’en parallèle, ces activités quatre saisons ont aussi un coût. Certaines d’entre elles nécessitent l’utilisation des infrastructures de ski et demandent aussi d’en construire de nouvelles.
« S’il n’y a plus de ski, il n’y a plus d’économie »
Or, l’aspect financier est le nerf de la guerre pour la survie des petites stations du Massif central. « La seule chose qui m’inquiète un peu, c’est : est-ce que dans 20 ans, on sera encore capable de maintenir les remontées mécaniques en état ? », confie Christophe Boivin. Un arrêt pourrait avoir des conséquences importantes au-delà de la station, sur l’ensemble du territoire, prévient-il. « On ne peut pas arrêter le ski du jour au lendemain. L’année de fermeture des remontées mécaniques pour le covid, ça a impacté les agriculteurs, les laiteries, rappelle le directeur. Autour de chez nous, on vit des thermes, du ski et du Saint-nectaire. En 2021, les agriculteurs mettaient le lait par terre, le fromage était jeté parce qu’il n’y avait plus de touristes. Chez nous, dans le Massif Central, s’il n’y a plus de ski, il n’y a plus d’économie. »
« Il n’y aura pas que le problème de la neige si les gens ne viennent plus faire du ski » Jean-Michel Falgoux
Les moniteurs de ski sont, eux aussi, impactés sur le plan économique. « On sait que dans n’importe quel cas, la clientèle française est mise à rude épreuve par rapport à l’inflation. Les clients ne viennent plus autant qu’avant, ou sur des séjours de plus courtes durées. Il n’y aura pas que le problème de la neige si les gens ne viennent plus faire du ski », se désole le directeur de l’ESF de Super Besse. Les moniteurs de ski doivent, eux aussi, trouver des alternatives à cette baisse de fréquentation des pistes, souligne-t-il : « On essaie d’avoir une activité adaptable en fonction de la neige, comme les couvreurs ou les maçons. Il nous faut nous aussi réussir à nous adapter professionnellement toute l’année. »
Pauline Badoc