Une double exposition miroir sur la souffrance humaine à Vichy
De la persécution des Juifs dans l’Europe du début du XXe siècle aux bombardements intensifs sur Gaza depuis le 7 octobre 2023, la Maison Albert Londres propose une double exposition qui revient sur deux périodes dramatiques de l’histoire contemporaine.

Elle a vu naître le père du grand reportage en 1884. La Maison Albert Londres, rénovée en lieu d’exposition en 2020, accueille tous les jours depuis le 1er juillet jusqu’au 30 novembre une double exposition. Le rez-de-chaussée est consacré à un ensemble de photos délivrées par l’Agence France-Presse (AFP), prises entre 2023 et 2024 à Gaza, dans un contexte d’offensive militaire menée par Israël contre le mouvement armé palestinien Hamas. Le premier étage, lui, est dédié à une exposition qui revient sur les 27 reportages d’Albert Londres consacrés aux migrations des juifs d’Europe vers la terre promise, publiés dans le Petit Parisien en 1929.
« Traditionnellement, on met toujours un reportage Albert Londres en avant dans nos expositions estivales. Compte tenu de l’actualité internationale, l’exposition du Juif errant s’imposait cette année mais on ne pouvait pas uniquement aborder la question juive, explique pour L’Effervescent Marie de Colombel, présidente de l’association Maison Albert-Londres. Il était aussi important de montrer les conséquences de l’arrivée des populations juives en Palestine. »
Gaza, un enfer sur terre
Le silence. Ce jour-là, pas un seul visiteur à la maison Albert Londres, habituée à recevoir quotidiennement des âmes curieuses dans ses murs. Une absence qui se fait ressentir et donne au lieu une quiétude inhabituelle et laisse sans voix face à une exposition bouleversante. Le bruit des bombes et des cris semble d’autant plus assourdissant, celui exprimé par les nombreux clichés exposés au rez-de-chaussée.
Des enfants et des femmes blessés, des hommes en détresse, des journalistes tués, une population affamée et endeuillée ainsi que des explosions et des habitats rasés par les bombes… cette exposition organisée par l’AFP présente l’enfer de Gaza à travers une quarantaine de clichés, chacun accompagné d’un commentaire explicatif. « Toutes ces photos nous ont été transmises par l’AFP, elles ont été prises par des correspondants gazaouis », précise Marie de Colombel.
Cette série illustre la souffrance des Gazaouis, mais également le grand courage des journalistes qui ont continué d’exercer leur activité dans des conditions extrêmement éprouvantes, parfois au prix de leur vie. Par leur travail, ils cherchent autant à éveiller les consciences sur les tragédies du conflit, interrompu début octobre par un cessez-le-feu qu’on espère définitif, qu’à témoigner de leurs propres épreuves, professionnelles comme personnelles. L’AFP a publié un communiqué le 21 juillet dans lequel l’agence alerte sur les conditions de vie dramatiques de ses collaborateurs à Gaza. Irene Khan, rapporteuse spéciale des Nations Unies sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression, déclarait le mois dernier que le conflit dans l’enclave était « le plus meurtrier jamais observé pour les journalistes ». Selon plusieurs sources dont l’ONU, plus de 200 journalistes ont été tués à Gaza depuis le 7 octobre 2023.
Aux origines du sionisme moderne
« On voulait montrer deux visions journalistiques sur la souffrance humaine à cent ans d’intervalle, commente Marie de Colombel. L’une, c’est le regard du photo-reporter sur Gaza, la souffrance des Palestiniens est illustrée par des photos. L’autre exposition, c’est la souffrance et la détresse des Juifs, racontées à travers le regard d’Albert Londres et ses reportages écrits. »
Cette seconde exposition revient sur plusieurs années de reportages entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, durant lesquelles le célèbre reporter documente à travers 27 récits les migrations juives d’Europe vers la Palestine. Le premier étage dévoile de nombreuses archives d’écrits d’Albert Londres, issues notamment de cette série de reportages intitulée Des ghettos d’Europe à la terre promise (1929)ainsi que des passages de son livre Le Juif errant est arrivé (1930), qui rassemble ces travaux dans un même ouvrage.

Le journaliste raconte avec une écriture très imagée ses rencontres avec la diaspora juive en Europe de l’Est. Il y décrit les persécutions contre ces derniers, les campagnes de pogroms, ainsi que la vie dans les ghettos et la misère qui touche les Juifs abandonnés par les sociétés européennes. Dans l’un de ses reportages, Albert Londres explique que c’est dans ce contexte que naît le sionisme : « Le sionisme est un mouvement qui naît de l’antisémitisme… autrement dit le sionisme est le résultat de persécution. S’il y a des sionistes actifs en Russie, en Pologne, en Roumanie, c’est que dans ces pays les Juifs ne sont devenus ni des Russes, ni des Polonais, ni des Roumains, et qu’ils sont persécutés. »
Dans une autre partie de sa carrière, le reporter s’est rendu en Palestine dans le but de faire un état des lieux de l’intégration juive sur leurs nouvelles terres. Il a aussi interrogé les populations arabes, hostiles à la mise en place d’un nouvel État sur leurs terres : « Le pays de Palestine est un pays arabe ; les Arabes étaient dans ce pays bien des années avant les Juifs », relaie le journaliste. « Un foyer national dans un autre foyer national, c’est la guerre ! », clame le sheikh Monafar dans le livre Le Juif errant est arrivé. Des déclarations qui, déjà, annonçaient la couleur d’un futur sombre au Proche-Orient.
La culture au service du témoignage : une réussite
Avec cette double exposition poignante, la Maison Albert Londres présente deux thématiques liées par l’histoire qui permettent aux visiteurs de prendre du recul sur un conflit bien complexe. Une initiative saluée par un public touché, en témoignent les divers avis écrits dans un livre d’or, posé en évidence à l’entrée : « Émouvant regard sur l’histoire et terrible prise de conscience de ce qui a été et sera » ; « Exposition très émouvante. La bêtise et la cruauté du monde sont si bien résumées » ; « Merci pour cette double exposition émouvante et qui laisse sans voix… que celles des journalistes ne s’éteignent jamais ! »
Alexandre Bricier