L’histoire coloniale de Clermont-Ferrand au cœur d’un festival inédit

Par Selim BEN ABDALLAH

Du 28 au 30 novembre, la pensée décoloniale s’est invitée à Clermont-Ferrand à l’occasion d’un festival nommé Auvergne (dé)coloniale ?, organisé par l’association Histoires crépues et dont le but est d’exposer une histoire trop méconnue. 

Le festival démarre par le vernissage de l’exposition au Lieu-Dit de Clermont-Ferrand, avec un discours de présentation de Seumboy Vrainom.
Seumboy Vrainom, journaliste fondateur du média Histoires Crépues, est notamment à l’initiative du festival Auvergne (dé)coloniale ? Crédit : Selim Ben Abdallah

Saviez-vous que Clermont Ferrand a un lien avec l’histoire coloniale française ? On pense souvent à des villes comme Bordeaux ou Nantes, qui ont été liées de très près à l’esclavage, ou encore Paris qui a connu la grande Exposition coloniale de 1931, mais peu de gens savent que l’Auvergne a, elle aussi, son passé colonial. Du 28 au 30 novembre 2025, au Lieu-Dit à Clermont-Ferrand, a eu lieu le tout premier festival qui traite de ce sujet. Auvergne dé(coloniale) ?, c’était une exposition, des projections, des conférences, des débats et des concerts pour se remémorer une histoire coloniale invisibilisée, et penser ensemble au futur des luttes décoloniales.

Le « village noir » au jardin Lecoq

« Je me doutais que Clermont avait peut-être un lien avec le colonialisme, mais je n’avais aucune idée de tout ça », avoue Céline, à peine arrivée au vernissage au premier jour du festival. Il faut dire que l’exposition, réunissant des cartes postales, tracts et photos issus des archives départementales du Puy-de-Dôme, de la bibliothèque nationale de Clermont-Ferrand et des travaux de la fondation Varenne, va droit au but. Une affiche saute tout de suite aux yeux. On peut y lire : « Les noirs sont arrivés ! Venez visiter le village noir ». Cette publicité invitait les Clermontois et Clermontoises à venir voir le “village noir” qui s’était installé au Jardin Lecoq en 1910.

À l’époque, la mode était aux expositions coloniales de ce genre, qui prétendaient faire découvrir les mœurs et coutumes des populations colonisées. Vendus comme des exhibitions ethnographiques, ces zoos humains arrachaient des familles entières à leur terre natale, et ils fleurissaient partout en France. Pas seulement à Paris en 1931, mais aussi dans de plus petites villes comme Amiens, Rouen, Grenoble et bien sûr … Clermont-Ferrand. Grégoire découvre avec consternation cette sombre histoire. Le jeune homme travaille au jardin Lecoq : « Je trouve que cette partie de l’histoire du jardin, qui est coloniale, est très peu mise en avant. On met plus en avant les figures qui ont construit le jardin, comme Henri Lecoq, mais on évite de parler de la partie de son histoire qui est moins reluisante. »

En Indochine, Alexandre Varenne et les plantations Michelin

En plus du Village Noir qui a discrètement marqué l’histoire coloniale auvergnate, d’autres faits ont surpris les visiteurs. Vous connaissez peut-être Alexandre Varenne parce qu’une rue de Clermont-Ferrand porte son nom, ou alors car il a fondé La Montagne. Mais saviez-vous que dans les années 1920, ce même Alexandre Varenne, a aussi été gouverneur général d’Indochine ? Et au même moment, en Indochine également, le géant clermontois du pneumatique Michelin exploitait des plantations pour produire le caoutchouc nécessaire à ses usines en Europe. Au gré des archives et des écriteaux, l’exposition nous en apprend plus sur les conditions de vie épouvantables des ouvriers vietnamiens qui étaient contraints de travailler dans les plantations d’hévéa, sous la domination coloniale française.

Le fruit d’un travail collaboratif

Cela fait pratiquement un an et demi que l’association Histoires Crépues prépare ce festival. À la tête du projet, il n’y a pas que Seumboy Vrainom, le rédacteur en chef d’Histoires Crépues (qui est aussi un média en ligne), mais aussi Camille Varenne, artiste-vidéaste clermontoise, et Mariam BenBakkar, artiste et fervente militante décoloniale. « À l’origine, on est tombés assez facilement, au travers de cartes postales, sur de l’iconographie de l’époque coloniale en Auvergne, explique Mariam. Puis en tirant le fil, on s’est rendus compte que des historiens avaient fait des recherches sur le sujet, et on s’est dit que ce serait important d’en parler. »

« Quand on adopte un prisme décolonial, on se rend compte que le colonialisme irrigue toute l’histoire de France » Mariam BenBakkar, artiste et co-organisatrice du festival.

Le petit collectif a également collaboré avec trois étudiants des Beaux-Arts de Clermont-Ferrand – Janah, Wiam et Inès-Nouna. Ils ont largement contribué à la scénographie de l’exposition au Lieu-Dit, en s’inspirant du travail de l’historienne et commissaire d’exposition Samia Henni. Pour ces jeunes, parler des luttes décoloniales est capital. « Moi, je suis une enfant de la diaspora marocaine en France, donc c’est important pour moi de comprendre la réalité de l’histoire coloniale entre mes deux pays, confie Janah. Mais on n’a pas nécessairement besoin d’avoir ces récits ancrés en soi pour se sentir concernés, on devrait tous l’être ». Cette analyse est partagée par Mariam BenBakkar, qui conclut : « Quand on adopte un prisme décolonial, on se rend compte que le colonialisme irrigue en fait toute l’histoire de France. »

Selim Ben Abdallah