Les cinémas indépendants, un maillon essentiel de la diffusion en milieu rural

Par Matilde GOT

Dans un paysage cinématographique dominé par les multiplexes et les plateformes de streaming, les cinémas indépendants jouent un rôle crucial, notamment en milieu rural. À travers la diversité de leurs programmations et leur engagement auprès des publics locaux, ces structures permettent l’accès au 7ᵉ art sur grand écran bien au-delà des grandes villes. 

Pour les habitants des zones rurales qui n’ont pas envie de prendre leur voiture pour aller à la grande ville la plus proche assouvir leur soif de cinéma dans un multiplexe, des cinémas indépendants, parfois associatifs ou municipaux, établis dans des petits bourgs ou qui ont carrément fait le choix de l’itinérance, continuent envers et contre tout d’offrir un accès de proximité au 7e art. En proposant des films d’auteurs, des œuvres étrangères en version originale ou des documentaires engagés, ces établissements permettent d’élargir les horizons cinématographiques de leur public.

Pour Fabienne Weidman, coordinatrice de l’association Plein Champ, cela ne fait pas de doute : « Ce qui est intéressant dans les cinémas indépendants, c’est qu’ils sont beaucoup plus ouverts sur le territoire, l’identité du territoire. » La structure auvergnate met en relation les salles de cinémas indépendantes adhérentes des quatre départements de l’ancienne région. Elle intervient ainsi dans différents domaines : l’aide à une programmation diversifiée, l’animation, la promotion et la mise en commun de moyens techniques, humains et financiers.

L’objectif est donc de proposer une programmation qui puisse satisfaire tous les habitants du territoire. En effet, chaque spectateur a ses préférences. « Certains vont dire : « Leur truc en VO sous-titrée, ce n’est pas pour nous, ça nous ennuie. » D’autres, au contraire, vont refuser d’aller voir un film comme Les Bodin’s parce qu’ils trouvent ça trop nul », résume Fabienne Weidman.

Plein Champ est aussi un lieu de ressources pour les salles et pour les structures souhaitant organiser des actions avec les cinémas. Aujourd’hui, l’association compte 38 adhérents soit 75 % des établissements et lieux de diffusion du cinéma en Auvergne, de Montluçon (Allier) à Ambert (Puy-de-Dôme) et Saint-Flour (Cantal). 

Le Rio : un cinéma emblématique

À Clermont-Ferrand, Le Rio est un cinéma emblématique. Il fait partie de la catégorie des établissements d’art et essai labellisés par le Centre national du cinéma (CNC). Installé dans un quartier populaire du nord de la métropole auvergnate, il propose une programmation différente, avec un attrait pour le social et la lutte des classes par exemple. Sylvie Solitude, déléguée générale du Rio, explique que sa salle a aussi « une programmation un petit peu plus pointue du fait de (son) label Recherche et Découverte. Un label qui récompense des films expérimentaux et qui sont diffusés par de petits distributeurs. Donc on essaie de montrer au public des films qui ne sont pas forcément soutenus par les médias. »

Les cinémas indépendants sont généralement soutenus par le CNC, subventionnés par la région, le département et la ville, « sans quoi ce serait très très difficile pour nous d’exister », affirme Sylvie Solitude. Le rôle des politiques locales est donc très important pour ces lieux de diffusion. « En 2024, ils ont réduit un petit peu la voilure de beaucoup d’associations, donc on doit rebondir. Ça veut dire faire plus d’événements, mieux travailler les événements. À chaque fois, il faut qu’on se renouvelle et qu’on soit créatifs » ajoute Sylvie Solitude.

Salle de cinéma Le Rio avant le lancement d’un film à Clermont-Ferrand. La salle est presque pleine et une dame parle au micro sur le devant de la scène. Certains sièges sont colorés mais la majorité sont des sièges noirs.
Salle de cinéma Le Rio à Clermont-Ferrand. Crédit : D. R.

Avec plus de 30 000 entrées par an, Le Rio reste une référence. Le chiffre est en effet impressionnant pour un cinéma mono-écran. Son succès s’explique aussi par des tarifs bien plus abordables que ceux des multiplexes. « Notre tarif plein est à 7,50 €. On a un tarif réduit à 5,50 €, et 4 € pour les moins de 18 ans », détaille Sylvie Solitude. Mais son public ne se limite pas aux Clermontois. « Il peut venir de Riom, voire de Lyon », précise-t-elle. Certains spectateurs parcourent de nombreux kilomètres pour profiter d’exclusivités introuvables ailleurs. Une preuve que Le Rio sait se démarquer.

Le cinéma itinérant : Cinéparc, une alternative essentielle

Dans certaines zones rurales, où il n’existe aucune salle de cinéma, les circuits itinérants permettent d’apporter le cinéma directement aux habitants. C’est notamment le cas de Cinéparc, une structure créée en 1989 qui organise des projections sur un circuit qui couvre le territoire du Parc Naturel Régional Livradois-Forez, à cheval sur les départements du Puy-de-Dôme et de la Haute-Loire. D’abord associative, elle est devenue en 1991 un syndicat intercommunal, garantissant ainsi sa pérennité grâce à l’adhésion financière des communes membres. Ce statut public permet également aux agents de Cinéparc d’être rattachés à la fonction publique territoriale.

L’origine du projet remonte à la fin des années 1980, une période marquée par une crise du cinéma, notamment en milieu rural. De nombreux cinémas municipaux et privés ont alors fermé, tandis que les circuits itinérants se développaient pour maintenir une offre culturelle dans les petites communes. « Cinéparc s’est ainsi donné pour mission de diffuser des films récents dans des villages dépourvus de salles de cinéma », confie Christophe Jeanpetit, directeur de Ciné-Parc.

À ses débuts, le circuit couvrait une dizaine de communes. Son succès a rapidement conduit à son expansion, atteignant près de 30 communes dès 1995. Aujourd’hui, Cinéparc compte 27 communes adhérentes et deux communes conventionnées, soit un total de 29 points de projection. Les communes adhérentes financent le service via une cotisation annuelle, tandis que les communes conventionnées bénéficient de projections spécifiques dans des structures comme une médiathèque intercommunale ou un collège. En plus de son réseau itinérant, Cinéparc coexiste avec trois salles fixes indépendantes situées à Thiers, Courpière et Ambert.

Salle installée pour accueillir une projection d’un film, organisé par le cinéma itinérants Cinéparc.
Installation d’un cinéma dans une salle en milieu rural par Cinéparc. Crédit : D. R.

Cinéparc joue aujourd’hui un rôle essentiel dans la diffusion cinématographique en milieu rural. « Cinéparc propose des séances régulières pour tous les publics, avec une rotation toutes les trois semaines dans chaque commune, détaille son directeur. À chaque cycle, quatre films sont programmés, mêlant cinéma d’auteur en version originale sous-titrée et productions grand public. » Le choix des films incombe à une commission de programmation réunissant une vingtaine de membres. Après un vote, les films retenus sont répartis stratégiquement sur l’ensemble du territoire. L’objectif est de permettre aux spectateurs d’accéder aux quatre films du cycle dans un rayon raisonnable. « Chaque commune accueille une projection, mais les films sont répartis de manière que le public puisse voir les autres dans des villages voisins », précise Christophe Jeanpetit. Cette organisation assure diversité et accessibilité, tout en évitant une programmation uniforme sur un même secteur.

« Les gens qui veulent vraiment aller au cinéma s’y rendent. Mais le vrai problème aujourd’hui, c’est le pouvoir d’achat. Depuis un an et demi, on entend de plus en plus souvent : « Le cinéma, c’est trop cher » », explique le directeur de Cinéparc. Grâce à des tarifs accessibles, la structure itinérante permet à tous de profiter du 7ᵉ art. « Notre tarif plein est à 5,50 €, et le tarif réduit à 3,50 €, avec une large accessibilité (moins de 18 ans, étudiants, demandeurs d’emploi, personnes à faibles revenus…), détaille Christophe Jeanpetit. Et quand des gens viennent pour la première fois, on voit leur étonnement. On leur annonce 11 € pour deux places, et ils sont persuadés qu’on s’est trompé : « Mais… on est deux !? » Oui, et pourtant, 11 €, c’est parfois même moins qu’une seule place en ville ! » 

Attirer un public plus jeune, un défi de taille

Si les cinémas indépendants séduisent un public fidèle, ils peinent cependant à attirer les jeunes adultes. « C’est un défi national : la tranche 15-25 ans est difficile à capter. Et chez nous, c’est encore plus complexe. Notre public est vieillissant, et on n’a pas encore réussi à renouveler cette audience », constate Christophe Jeanpetit. Le directeur de Cinéparc pointe une autre difficulté plus spécifique à sa structure : « Contrairement à une salle fixe qui programme un film sur plusieurs jours à des horaires variés, nous, on ne passe un film qu’une seule fois, à un moment précis. Les ados de 15 ans qui ont école le lendemain ne vont pas sortir en semaine. Et ceux qui sont en études supérieures… ne vivent plus sur le territoire. »

« Le public des 15-25 ans, je pense que c’est pareil pour tout le monde, il est assez difficile à capter », confirme Sylvie solitude, du Rio. Les jeunes ont grandi avec les plateformes de streaming et les grandes chaînes de télévision qui diffusent rapidement les films en VOD. « Cette génération a grandi avec les multiplexes, le streaming, et l’idée que dans un mois, le film sera sur Canal+. Ils ne ressentent plus forcément le besoin d’aller en salle », explique Bruno Queyrie, membre du Cercle des amis du cinéma à Clermont-Ferrand. L’association projette chaque année environ 40 films, dont 30 pendant l’année scolaire et 10 autres dans le cadre de son festival annuel.

Le partenariat passé par le Cercle avec les cinémas clermontois est basé sur le principe de l’attribution intégrale des recettes des séances aux exploitants des salles, qui fournissent l’infrastructure nécessaire aux projections. Ce système permet à l’association d’organiser des séances dans de bonnes conditions techniques. « Le Rio se distingue par son aspect collaboratif, avec plusieurs interlocuteurs et une approche plus ouverte à l’égard des associations locales », confie Bruno Queyrie. La salle organise régulièrement des séances exceptionnelles avec diverses associations, traitant de sujets aussi variés que l’histoire du Portugal, la médecine, ou la philosophie.

Le rôle social du cinéma en milieu rural

Au-delà de la diffusion de films, les cinémas indépendants remplissent un rôle social majeur. Ils sont des lieux de rencontres et d’échanges, où les spectateurs peuvent partager une expérience collective.  « L’essentiel, c’est que notre travail ne consiste pas à censurer ou à exclure une partie du public, mais bien à proposer un éventail de films qui permette à chacun d’y trouver son compte. L’idée, c’est de donner envie aux gens de sortir de chez eux et de vivre une expérience collective », affirme Fabienne Weidman. Bruno Queyrie souligne également cet aspect : « Aller au cinéma, c’est autre chose. Ce n’est pas juste voir un film, c’est une expérience collective. »

Face à la concurrence des plateformes et à la hausse des coûts d’exploitation, les cinémas indépendants doivent redoubler d’efforts pour continuer à exister. Mais leur mission reste essentielle : sans eux, de nombreux territoires ruraux n’auraient plus accès à une offre culturelle cinématographique de qualité. Le maintien et le développement des circuits itinérants et des petites salles de cinéma nécessitent donc un engagement fort, tant de la part des collectivités locales que des spectateurs eux-mêmes. 

Mathilde Got