Jeantoine, l’homme qui fait tourner les vinyles à Riom
Par Lucas LEMERCIER
À Riom, dans le Puy-de-Dôme, Jeantoine – c’est son vrai prénom – tient depuis huit ans une boutique de vinyles où il partage sa passion pour la musique et les objets rares. Entre indépendance assumée, contraintes économiques et fidélité à l’authenticité du support, il fait vivre un commerce singulier, à contre-courant du tout-numérique.

À Riom, dans le Puy-de-Dôme, un petit local attire les regards curieux des passants. À l’intérieur, des centaines de disques vinyle tapissent les murs, s’entassent dans des bacs, et diffusent un parfum de nostalgie. Aux commandes : Jeantoine, disquaire passionné, qui a fait de cet endroit un véritable refuge musical.
« Mon père avait peut-être cinq ou six mille vinyles », raconte l’intéressé avec un mélange de fierté et de tendresse. Une collection familiale devenue fondation. « J’ai commencé avec ça, sans gros investissement. Si ça ne marchait pas, ce n’était pas dramatique. » Il faut dire que chez lui, la musique était omniprésente. Ferrat, Brel, Brassens… Ces artistes résonnaient dans la maison, lors des trajets ou dans les petits festivals qu’il arpentait avec ses parents. « J’ai baigné là-dedans. »
Du reggae aux résistances : un chemin de traverse
Aujourd’hui, Jeantoine a troqué la chanson française contre le reggae, qu’il écoute « à 90 % ». Il y retrouve une énergie rebelle, un appel à la liberté. « J’ai un côté un peu anarchiste. C’est pour ça que j’ai monté ma boîte : je ne voulais pas de patron. »
Cette indépendance, il la revendique dans sa manière de travailler, loin des circuits traditionnels. S’il commande souvent chez les distributeurs classiques, il passe aussi beaucoup de temps à chercher des pièces chez les petits revendeurs. Et son énergie, sa philosophie, il la met en avant notamment via ses vidéos sur Facebook. Mais le bouche-à-oreille, les habitués, les curieux de passage restent sa meilleure vitrine.
Un commerce de passion, pas de rentabilité
Ouvrir une boutique de disques vinyles en 2015, à une époque dominée par le streaming, relevait presque du pari fou. Mais Jeantoine n’est pas du genre à faire les choses à moitié. « Je ne me verse pas de salaire, mais j’arrive à vivre », dit-il sans se plaindre. Les frais sont nombreux : loyer, stock, charges… Sur 3 000 euros de chiffre d’affaires mensuel, il lui reste à peine de quoi tourner. « J’achète pour 1 800 euros de vinyles neufs par mois, j’ai 600 euros de loyer… Heureusement que j’ai des clients fidèles » affirme-t-il avant de poursuivre : « Noël reste la meilleure période, mais cela ne compense pas les mois creux. »
Une boutique comme un salon d’écoute
Jeantoine a créé un espace où l’on ne fait pas que consommer. On discute, on fouille, on prend le temps. « Ce que j’aime dans le vinyle, c’est l’objet. La pochette, le toucher, le craquement quand on le pose sur la platine. » Il connaît ses clients, leurs goûts, leurs manies. Certains viennent chaque semaine, d’autres de loin en loin. Des lycéens passionnés de rock progressif aux vieux collectionneurs de jazz en passant par les amateurs de rap français.
« Le vinyle, c’est pas juste de la musique. » Pour Jeantoine, c’est aussi le design unique de certains disques qui fait leur charme. Il rêve d’ailleurs de créer un musée du vinyle, pour exposer ses pièces les plus rares, parfois introuvables. Certaines sont d’ailleurs précieusement conservées derrière son comptoir, non destinées à la vente. « On me demande souvent si je vends tel ou tel vinyle. Mais ceux que je garde ici sont destinés au musée. » Parmi ces pièces, Jeantoine présente des vinyles comme on en voit rarement. « J’ai un vinyle fait en cire d’abeille. Celui-ci j’évite de trop le faire tourner sinon il peut fondre », explique-t-il. Dans cette collection se trouvent également des pièces qui témoignent de l’histoire. « J’ai un vinyle gravé sur une radiographie qui date de la Guerre froide. » Si plus aucun son audible n’en sort, cette gravure raconte tout de même une histoire. En effet, ce type de pièces aurait été utilisé pour écouter de la musique dans un régime qui ne l’autorisait pas forcément.

Des vinyles, des galères et du flair
Trouver ces perles rares, c’est toute une aventure. Jeantoine passe des heures sur internet à chercher, à comparer, à marchander. « C’est un peu la loterie. » Même pour acheter des vinyles plus classiques, il lui faut l’accord des maisons de disque qui les publient. S’il possède l’accord de la plupart d’entre elles, il en est une qui persiste à faire la sourde oreille : Warner. Une « major » dont le refus tacite occasionne pour Jeantoine un manque à gagner important puisqu’elle représente un grand nombre d’artistes de premier plan comme les Red Hot Chili Peppers, Ed Sheeran ou encore Dire Straits. Ces artistes lui sont d’ailleurs souvent demandé par certains clients mais restent inaccessibles faute de réponse. « Je les ai contactés des dizaines de fois. Mais Warner n’a jamais répondu », déplore-t-il.
Il se fournit donc autrement : petits distributeurs, collections rachetées, dépôts-vente. Parfois, des clients viennent lui proposer leurs cartons. « Je regarde tout. Même les trucs improbables. » Il n’a pas peur des vinyles un peu usés : « Au contraire. Un disque abîmé, c’est un disque qui a vécu. Si j’estime que l’objet serait bon à exposer, je le prends. »
Le vinyle n’est pas mort
Malgré les difficultés, Jeantoine garde foi dans sa mission. Le marché du vinyle a connu un regain ces dernières années, porté par une quête de sens et de tangible. « Les jeunes reviennent vers ça. Ils veulent du vrai, du concret. » Une tendance qui touche tout l’Hexagone. D’après les chiffres publiés en mars 2025 par le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP), en 2024, les ventes de vinyles ont dépassé les ventes de CD, en termes de valeur. En effet, les ventes de vinyles ont généré un chiffre d’affaires de 98 millions d’euros, contre 91 millions d’euros pour les CD. Voilà qui montre que le vinyle a encore de beaux jours devant lui, et Jeantoine est là pour raconter l’histoire qui se cache derrière chaque disque.
Lucas Lemercier