Gaëlle Chotard : quand l’artiste fait dialoguer ses œuvres avec le lieu d’exposition

Par Elise VANTREPOL

Usine du Creux de l'enfer.
L’ancienne usine de coutellerie du Creux de l’enfer de Thiers, située sur le passage de la Durolle, reconvertie en centre d’exposition. Crédit : Élise Vantrepol

Du 14 février au 4 mai 2025, l’artiste Gaëlle Chotard a exposé son art au centre d’exposition du Creux de l’enfer, à Thiers. Son projet La peau de l’oiseau allie l’usage du métal avec des sculptures en fil de maille et des faucilles accrochées aux murs, dans le cadre industriel et naturel du Creux de l’enfer.

Fils métalliques, faucilles et cordes de piano (tiges en métal rigides), voici l’ambiance dans laquelle nous plonge Gaëlle Chotard avec son exposition La peau de l’oiseau, présentée du 14 février au 4 mai 2025 dans la galerie thiernoise du Creux de l’enfer. Le métal, en particulier sous sa forme filaire, est un matériau récurrent dans l’œuvre de la créatrice quinquagénaire, née à Montpellier dans une famille d’artistes, formée aux Beaux-Arts de Montpellier puis de Paris.

Le Creux de l’enfer, « une part entière de l’exposition »

Mais son choix s’est aussi imposé à l’artiste en référence au lieu si particulier que ses œuvres étaient appelées à habiter : le Creux de l’Enfer. « L’histoire du bâtiment m’a beaucoup intéressée, notamment son rapport de transformation du métal avec l’eau », explique-t-elle. En effet, le centre d’exposition du Creux de l’enfer n’est autre qu’une ancienne usine de coutellerie du 19e siècle, située dans l’antre de la Vallée des Usines, en contrebas de la ville.

Thiers est réputée pour son savoir-faire ancien dans la fabrication des couteaux, qui étaient forgés en utilisant la force hydraulique de la rivière Durolle. Un passé artisanal et industriel intriguant pour l’artiste : « J’ai passé beaucoup de temps à Thiers pour essayer de comprendre comment fonctionnait le lieu ». Elle explique la nécessité pour elle de « s’imprégner de l’endroit, de ses alentours, de la nature, de la lumière et de l’eau », pour créer son projet en lien avec le Creux de l’enfer. Il aurait été difficile pour elle d’exposer ses œuvres dans un autre lieu puisqu’il est « une part entière de l’exposition ».

L’idée sous-tendant ce projet est d’être « transparent et de former un dialogue avec l’espace et son histoire pour former un tout global ». Avec l’aide de Geoffroi Gautier, un artisan coutelier originaire de Thiers, Gaëlle a cherché parmi les différents outils emblématiques en ferraille, celui qui serait l’un des sujets principaux de la présentation. C’est sur la faucille qu’elle a jeté son dévolu. Un objet forgé à la main, dont les courbes uniques et singulières ont rappelé à l’artiste « les différents remous créés par la force de l’eau ».

Il a fallu collecter plusieurs dizaines de faucilles, pour ensuite les restaurer dans l’atelier du coutelier. Une fois remises en état, Gaëlle les a disposées le long des murs de la salle d’exposition, à la façon des ondulations de la rivière visibles depuis les différentes fenêtres. « Rien n’est fait par hasard dans ce projet. Que ce soient les lumières, l’emplacement des œuvres, la visibilité depuis les fenêtres… Toute la mise en scène est réfléchie en fonction du lieu », raconte Gaëlle.

 Une mise en scène énigmatique

Vue de l'exposition du Creux de l'enfer (structures en toile de maille, éléments métalliques).
Dans la première pièce de l’exposition, deux grandes structures en toile de maille sont suspendues aux côtés de deux autres éléments en ferraille au sol. Crédit : Élise Vantrepol

Tout un processus de recherche et de création en accord avec les valeurs de l’artiste. Elle ne souhaite pas transmettre de message particulier, au contraire : « Ce qui m’intéresse c’est de brouiller les pistes et que chacun puisse s’approprier les œuvres selon ses émotions, tout comme moi, je les ai créées en fonction de ce que je ressentais ». Un aspect mystérieux qui colle avec l’ambiance particulière du centre d’exposition. En travaillant le fil de fer, le métal ou encore les papiers gorgés d’aquarelle, Gaëlle se sert de l’ancienne usine, comme d’une œuvre en elle-même. Grâce à l’aura du bâtiment et à son décor naturel, elle met en valeur ce qu’elle appelle « La peau de l’oiseau », soit ce que l’on connaît tous, mais dont on ne parle pas.

Ce titre fait référence à ce qui d’ordinaire ne nous fascine pas : « On parle toujours des plumes de l’oiseau, de son bec, de ses ailes, mais jamais de sa peau. » L’exposition se compose de trois salles chacune dominée par un élément. La première nous présente deux grandes structures métalliques suspendues aussi légèrement que des toiles d’araignée, mais aussi imposantes que des carcasses d’animaux. Dans la deuxième pièce, les murs sont jonchés de faucilles plantées à même le plâtre, comme si un torrent de métal recouvrait l’espace. La dernière salle, plus petite, est décorée de morceaux de papiers assemblés les uns aux autres, pour former des flaques d’aquarelle comme si la rivière, en contrebas du bâtiment, s’infiltrait à l’intérieur. Gaëlle explique la redondance des thèmes de l’eau, de la nature et de la lumière comme une inspiration directe de l’endroit : « Si les techniques et les matériaux utilisés changent selon la pièce, le propos, lui, reste le même ».

« La mise en place de ce projet, c’est le prolongement de ce que je suis »

Mais tout comme l’histoire du Creux de l’enfer ne peut se résumer seulement en quelques mots, le projet artistique de Gaëlle « ne se réduit pas à si peu », selon elle. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les œuvres exposées ne portent pas de nom. « Je ne voulais pas les enfermer dans une appellation, raconte-t-elle, tout comme le Creux de l’enfer ne se résume pas qu’à son nom actuel de centre d’exposition ». Pour Gaëlle, « la mise en place de ce projet c’est le prolongement de ce [qu’elle est]. C’est forcément lié avec ce [qu’elle a] pu faire dans le passé et ce [qu’elle fera] dans le futur, c’est la suite de l’histoire. »

Élise Vantrepol