Culture chez les jeunes ruraux : un accès encore trop inégal ?

Par Léna LAMBERT

Si le Pass Culture a permis à des millions de jeunes d’acheter des livres, assister à un spectacle relève encore de l’exception, notamment dans les campagnes. Entre l’absence de transports, le manque d’infrastructures et une offre culturelle limitée, les jeunes ruraux peinent à profiter pleinement de leur droit à la culture. 

Un écran d'ordinateur.
Depuis son lancement en 2019, le pass culture a été activé par 4,2 millions de jeunes en France. Crédit : Léna Lambert

« J’ai hâte de recevoir mes 300 euros pour acheter des livres », sourit Romane, lycéenne de 17 ans. Depuis qu’elle a quinze ans, elle reçoit chaque année une enveloppe de l’État allouée à la culture. Elle a d’abord touché 20 euros, puis 30 les deux années suivantes. Dans trois mois, la lycéenne aura 18 ans et bénéficiera du montant maximal : 300 euros. Créé en 2019 et généralisé à l’ensemble des jeunes de 18 ans en 2021, le pass culture a bénéficié à plus de quatre millions de personnes depuis sa mise en place. Il suffit d’avoir entre 15 et 18 ans et de résider en France métropolitaine ou dans les DOM-TOM pour y être éligible. Cependant, trois ans après la généralisation du pass, la Cour des comptes dresse le bilan : si 84 % des jeunes ont pu en bénéficier, l’objectif de diversification culturelle est lui, loin d’être atteint. 

Des pratiques qui restent les mêmes

Avec la mise en place du pass culture, l’État voulait en effet amener les adolescents à se tourner vers des pratiques culturelles méconnues de ces derniers. Finalement, les livres représentent entre 42 et 55 % des montants dépensés chaque trimestre depuis 2021. « J’achète uniquement des romans car ça coûte cher, donc c’est le plus avantageux pour moi », explique Romane. Après trois ans à bénéficier de cette enveloppe culture, elle n’a jamais opté pour une représentation de danse ou une pièce de théâtre, pourtant accessibles sur l’application du pass. L’adolescente est loin d’être la seule à bouder les arts de la scène : toujours selon la Cour des comptes, seulement 7,8 % des jeunes ont réservé un spectacle vivant grâce au pass culture. « Il y a des représentations que j’aurais aimé voir, mais ce n’était pas possible car elles étaient trop loin de chez moi », souligne Romane. Effectivement, la jeune fille vit à Livry, petite commune nivernaise de moins de 700 habitants. Pour les jeunes ruraux, l’accès à ce volet de la culture devient beaucoup plus difficile…

Une mobilité limitée…

Pour Romane, la grande ville la plus proche, Nevers, se situe à 30 minutes de voiture. Pas encore titulaire du permis de conduire, elle est dépendante de ses parents pour se déplacer. De plus, le réseau de transports en commun est loin d’être optimal : seul le bus scolaire se rend à Nevers en semaine, à 6 h 45 du matin. De plus, il faut faire dix minutes de voiture depuis Livry pour se rendre à l’arrêt du car. Impossible donc d’aller par ses propres moyens dans l’agglomération neversoise pour la jeune fille. Le cas de Romane est loin d’être isolé : selon l’Insee, au 1er janvier 2018, 5,3 millions de jeunes vivaient dans des communes rurales. La Nièvre n’est pas une exception, dans l’Allier, département limitrophe, le constat est le même. 

… qui freine l’accès à la culture des jeunes ruraux

« Notre principale difficulté est la mobilité. Nous avons trois grandes agglomérations sur le département. C’est assez facile de s’y déplacer lorsqu’on y habite, mais dès qu’on est plus en ruralité, cela devient beaucoup plus complexe », admet Sylvie Pautet, chargée de la mission culture au département. La mobilité est donc en 2025 encore loin d’être suffisamment développée. « Je n’ai pas le choix d’attendre d’avoir le permis pour sélectionner des spectacles avec le pass culture », conclut Romane. Si la jeune fille doit attendre de pouvoir se rendre en ville pour assister à des représentations artistiques, c’est aussi car l’offre culturelle dans les campagnes est extrêmement limitée. 

L’ouverture de nouveaux espaces culturels 

Effectivement, trouver un cinéma ou une salle de théâtre dans un petit village est loin d’être chose aisée. Contrairement aux agglomérations, les équipements culturels y sont peu nombreux, et prendre la voiture est encore une nécessité. Pour pallier cet obstacle, les milieux ruraux voient émerger de plus en plus de tiers-lieux culturels. Ces espaces ont pour objectif de faciliter l’accès à la culture en proposant diverses activités, allant de la conférence à la formation au numérique. Diverses associations ont également fait le choix de s’engager pour les ruraux, en travaillant de manière mobile. 

Des spectacles sur le pas de sa porte

« Lorsque nous nous sommes lancés, nous avons rapidement décidé d’avoir un lieu itinérant. C’était très pertinent pour nous qui voulions nous implanter autour du bassin vichyssois, et donc en pleine ruralité », explique Bastien Bachet, 45 ans. Depuis 2022, il est salarié de l’association Le Bouillon. Cette dernière a pour objectif de promouvoir la culture et l’alimentation durable en milieu rural. À bord de leur caravane, Bastien Bachet et Lucile Gorce, fondatrice de l’association, sillonnent les routes de l’Allier pour proposer un café culturel, alliant spectacle et restauration. Après plusieurs années d’activité, le duo est forcé de constater que très peu de jeunes assistent à leurs événements. 

Des difficultés sur le terrain

« C’est très compliqué de capter les 18-25 ans dans les campagnes. Je pense que c’est un âge où on fait les choses de son côté, les saltimbanques qui arrivent sur la place du village, ce n’est pas ce qui intéresse », suppose Bastien Bachet. Effectivement, croiser des jeunes au café culturel est quelque chose d’assez exceptionnel. Le Bouillon propose également des ateliers pédagogiques, mais ces derniers touchent davantage les écoles et les collèges. La tranche d’âge des jeunes adultes n’est encore une fois pas le public cible de ce type d’association.

« On le remarque avec la jeunesse, mais pas seulement. Même du côté des adultes, il y a un côté très méfiant dans les campagnes. Beaucoup ne veulent pas prendre le risque de venir nous voir par peur d’être déçu, explique Bastien. C’est dommage car tous les spectacles que nous proposons sont gratuits. » Effectivement, Le Bouillon perçoit des subventions pour faire venir les artistes. Ces dernières peuvent venir de la région ou encore du département. La direction de la culture de l’Allier essaye de financer différents projets pour faciliter l’accès à la culture des jeunes ruraux. 

Des promesses budgétaires encore en attente

« Nous pouvons subventionner des festivals de jeunes ou des concerts par exemple. Nous aidons également au fonctionnement de compagnies composées de jeunes qui sortent d’école de théâtre », résume Sylvie Pautet. L’objectif est de faire découvrir à la nouvelle génération ce qui existe à côté de chez elle. Le département rencontre cependant des difficultés financières, bloquant l’avancée de certains projets. Rachida Dati, ministre de la Culture, avait pourtant annoncé en 2024 Le Printemps de la Ruralité, visant à renforcer la présence et l’accès à la culture dans les territoires ruraux. Malgré l’annonce d’un plan de soutien de près de 100 millions d’euros aux campagnes, rien n’a pour le moment changé au niveau des départements. Dans l’Allier, la direction de la culture patiente, en espérant profiter un jour des retombées concrètes de ces annonces budgétaires. 

Léna Lambert